Regard de la FRB sur la Cop16 : des outils scientifiquement pertinents validés par le consensus politique
Depuis la clôture de la 16e Conférence des Parties (Cop16) de la Convention sur la diversité biologique (CDB), critiques et insatisfactions ont été exprimées et largement relayées. Sont en particulier pointés du doigt : le manque d’ambition en matière de financement de la protection et de la restauration de la biodiversité et les lenteurs relatives à la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité (adopté lors de la dernière Cop).
Sur ce dernier point, en matière de processus multilatéraux, la patience et la pugnacité sont de mise pour aboutir à des consensus disruptifs, surtout en partant de positions aussi antagonistes que celles exprimées par les pays du nord et les pays du sud. Ces temps de négociation et d’ajustement restent absolument indispensables, car ils permettent d’établir un « socle de base » (accepté par tous les États), constitué notamment : du cadre mondial et ses 23 cibles pour vivre en harmonie avec la nature, des liens entre biodiversité, changement climatique, agriculture et santé. Ce socle de base pour un avenir commun, des visions partagées, des actions concertées, se construit pas à pas.
Malgré ces critiques, la Cop16 a néanmoins permis de notables avancées institutionnelles qui ne devraient pas être éclipsées :
- création d’une instance représentant les communautés locales et peuples autochtones, permettant leur pleine implication dans l’ensemble des travaux instrument créé par la Convention ;
- établissement des critères de désignation des aires marines protégées ;
- adoption du document de cadrage sur les relations entre biodiversité et santé qui avait été rejeté il y a deux ans à Montréal, à noter que le projet de décision constitue l’un des textes les plus complets sur le sujet ;
- décision sur les liens entre biodiversité et climat et la nécessité de traiter les deux enjeux conjointement en évitant ou minimisant les effets négatifs des actions climatiques sur la biodiversité, l’intégrité des écosystèmes, les fonctions et services écosystémiques ;
- création du « fonds de Cali » pour gérer les accords multilatéraux sur les séquences génétiques numériques, les DSI. Ce fonds permettra d’inventorier les séquences disponibles et leurs usages, de rémunérer les États d’où sont issus ces séquences.
Deux points ont particulièrement retenu l’attention de la FRB.
Le premier concerne la comparaison des stratégies nationales pour la biodiversité, les “NBSAP”, des 44 États Parties qui les ont déposés (cf ci-après). Elle permet de ressortir plusieurs points :
- Les priorités nationales sont très diverses, reflétant des conceptions du monde différentes.
- En plus des tensions classiques autour du développement économique, les interactions, compromis et synergies avec d’autres plans environnementaux – concernant le climat, l’eau ou l’agriculture – compliquent la construction de ces plans nationaux et des politiques publiques associées. Ces tensions peuvent être aussi des sources d’opportunité, amenant à rehausser l’importance de la biodiversité. Les co-bénéfices climat-biodiversité sont particulièrement importants à considérer, ils sont associés aux actions de restauration de la nature. Les co-bénéfices agriculture-biodiversité sont aussi majeurs, ils sont liés à la planification territoriale et la baisse significative des pressions sur la biodiversité (en particulier le changement d’usage des sols et la pollution).
- L’inclusivité est une nécessité, mais c’est aussi une source de difficultés un défi et elle demande des moyens humains, matériels, institutionnels considérables. Elle demande une en capacitation, notamment des parties prenantes qui ont été jusqu’à présent peu présentes dans le débat public (les femmes, les jeunes, les peuples indigènes et communautés locales). Tous les ministères publics doivent être impliqués.
- Enfin, il semblerait que des systèmes décentralisés de collecte des données et des indicateurs associés puissent être pertinents.
Ce chiffre est significativement inférieur au nombre total de parties à la Convention sur la diversité biologique, qui compte 196 pays.
Cette situation contraste fortement avec les attentes initiales. Astrid Schomaker, Secrétaire exécutive de la CBD, avait déclaré avant la COP que tous les pays étaient censés soumettre leurs stratégies nationales pour la biodiversité révisés lors de la conférence.
Parmi les pays ayant soumis leurs plans, on peut noter :
- La plupart des pays européens ;
- L’Inde, qui a non seulement soumis sa stratégie nationale pour la biodiversité mais a également proposé son aide aux pays voisins pour développer les leurs ;
- L’Australie, la Chine, l’Indonésie, la Malaisie, le Mexique, qui font partie des 17 pays dits “mégadivers” ;
Sur les 17 pays considérés comme “mégadivers”, qui abritent ensemble 70 % de la biodiversité mondiale, seuls 5 ont produit de nouveaux engagements pour lutter contre la perte de biodiversité.
Plusieurs pays importants n’ont pas respecté la date limite, notamment le Royaume-Uni, le Brésil, la Colombie (pays hôte de la Cop16) et le Pérou.
Les implications de cette faible soumission des plans de gestion de la biodiversité sont :
- des retards dans la mise en œuvre : Le faible taux de soumission des plans de gestion de la biodiversité pourrait retarder la mise en œuvre effective du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal.
- défi pour l’évaluation globale : Le manque de stratégies nationales complètes compliquera l’évaluation des progrès globaux vers les objectifs de biodiversité mondiaux.
- pression accrue sur les prochaines Cop : en particulier sur les aspects financiers des pays du sud vers les pays du nord.
Le second sujet à avoir retenu l’attention de la FRB est celui de la finance durable. Deux think tank ont été amenés à présenter leurs travaux lors de la Cop16. Il est intéressant de considérer leur différence d’approche, les acteurs menant les projets, les types d’écosystèmes concernés.
- Le TFFF (Tropical Forests Finance Facility), mené par le Brésil, le Congo et l’Indonésie, soutenu par la Colombie, le Ghana et la Malaisie, a l’ambition de constituer en quelque sorte une « OPEP des pays détenteurs de forêts tropicales ». L’ambition de ce TFFF est que les pays les plus riches – notamment ceux qui se sont déjà engagés –, les plus intéressés, financent la protection de ces forêts tropicales. Les entreprises utilisant la biodiversité tropicale dans leur communication devraient aussi être sollicitées.
- L’IAPB, initiative franco-britannique, se propose de réfléchir aux modalités de crédits et de certificats biodiversité de haute intégrité, dans l’ensemble des écosystèmes. Son ambition est d’aligner les flux financiers globaux en conséquence. Ses préoccupations sont d’éviter les effets pervers constatés dans le cas de la compensation écologique (projet proche de celui mené conjointement entre le muséum, carbone 4 et la FRB). Ce think tank propose notamment que tout échange ou compensation se fasse à échelle locale, concernant des écosystèmes comparables. Il insiste sur l’importance d’une gouvernance inclusive, où sont notamment représentées les communautés locales. L’apport du consortium FRB – MNHN-Carbone 4 à ce projet est de travailler sur les risques et opportunités du mécanismes et de proposer une méthode scientifique d’évaluation des gains biodiversité attribués aux pratiques humaines, préalable indispensable à toute certification.
Ces travaux de la Cop16 bénéficieront évidemment aux prochaines Cop :
- La Cop Climat pourrait ainsi s’appuyer sur les travaux de la Cop16 sur la finance pour proposer des certificats et crédits « nature », combinant les enjeux climat-biodiversité.
- La Convention Désertification pourrait créer un corps permanent des « communautés locales et peuples autochtones », ces parties prenantes jouant un rôle central dans la lutte contre cette désertification.
Denis Couvet et Hélène Soubelet,
Président et directrice générale de la FRB