Une étude issue du projet de recherche Woodiv, co-financé par le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et le Labex OT-Med, a récemment été reconnue par la Société botanique de France comme étant le meilleur article scientifique publié en 2020 dans la revue Botany Letters. Les auteurs de l’étude ont reçu le prix Jussieu, d’une valeur de 5 000 €, qui a pour vocation de soutenir la recherche en botanique.
Les travaux menés par Cheikh Albassatneh et ses collègues ont permis de produire, pour la première fois, un arbre phylogénétique des différents genres d’arbres présents en Méditerranée européenne, genres identifiés par le consortium dans l’article de Médail et al. (2019). Cette représentation, qui tire son nom du grec phylon pour « famille » et genesis pour « création », figure les liens de parentés entre les êtres vivants, afin de retracer et dater les principales étapes de l’évolution des organismes depuis un ancêtre commun.
Les chercheurs ont ainsi étudié les 64 genres d’arbres indigènes de l’Europe méditerranéenne et construit un arbre phylogénétique basé sur leurs séquences ADN chloroplastiques [1]. Ils ont ensuite comparé cet arbre phylogénétique avec un autre, basé cette fois sur les caractéristiques biologiques, aussi appelées traits fonctionnels.
Zoom sur les traits fonctionnels
Les traits fonctionnels, liés au type de reproduction (pollinisation, fleurs hermaphrodites ou unisexe) ou au type de dispersion des graines, sont souvent utilisés comme indicateurs de biodiversité. Ils permettent de caractériser à la fois les menaces qui pèsent sur la diversité taxonomique (c’est-à-dire les différentes espèces ou genres d’arbres) et celles qui pèsent sur la diversité fonctionnelle (c’est-à-dire liée aux différents traits biologiques).
Ces deux méthodes de classification des êtres vivants ont fourni des résultats différents, montrant que la diversité fonctionnelle n’est pas prédictible par la diversité phylogénétique ou taxonomique, et vice versa.
De plus, contrairement à l’arbre basé sur les traits fonctionnels, la fréquence au sein des genres des espèces classées comme vulnérables par l’UICN [2] est distribuée au hasard dans l’arbre phylogénétique (basé sur les séquences d’ADN), hormis pour certains taxons particulièrement mal connus. Ainsi, les causes de la vulnérabilité des arbres de Méditerranée ne sont pas seulement liées à la façon dont ils ont évolués au cours du temps. Elles sont essentiellement à rechercher dans des menaces plus globales se manifestant dans l’ensemble de la Méditerranée (par exemple, changement d’utilisation des terres, incendies, etc.). Les stratégies de conservation des arbres de Méditerranée ne peuvent donc pas se focaliser uniquement sur certains groupes et doivent envisager une réduction générale des impacts affectant leurs habitats.
La phylogénie permet d’aller encore plus loin pour alimenter les stratégies de protection et de conservation des arbres forestiers méditerranéens. Une nouvelle étude issue du même projet de recherche Woodiv a été publié le 7 février dernier dans la revue Diversity and Distributions. Des chercheurs ont utilisé l’arbre phylogénétique des 64 genres d’arbres méditerranéens pour en évaluer la variabilité spatiale, dans 643 parcelles de 50 km x 50 km sur tout le bassin méditerranéen européen (voir Figure). Ils montrent que le sud de l’Espagne, Chypre et certaines îles de la mer Égée contiennent des zones d’une diversité phylogénétique disproportionnellement grande et identifient ces zones comme des cibles prioritaires pour la conservation des arbres forestiers européens.
Figure : Carte de diversité génétique relative. Les zones en bleu clair et en bleu foncé, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéen significativement plus forte qu’attendue. A l’inverse, les zones rouges et marrons, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéens significativement plus faibles qu’attendue.
Les données utilisées dans ces deux études sont issues d’une base de données construite par les chercheurs du projet Woodiv et mise à disposition de la communauté scientifique. Elle fait l’objet d’une publication dans Nature Scientific Data et rassemble plus de un million de données de présence, phylogénétiques et écologiques pour les arbres indigènes de Méditerranée européenne.
[1] Les chloroplastes sont les éléments cellulaires responsables de la photosynthèse
[2] L’Union internationale pour la conservation de la nature est l’une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature. Elle classe les espèces selon leur risque d’extinction, de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « quasi menacée », « vulnérable » ou encore « en danger ».