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Comprendre les mécanismes qui créent des injustices environnementales permet de lever les freins et de rendre les décisions plus justes et plus équitables

Transformer les organes de gouvernance 

 

La corruption est un des obstacles régulièrement mis en avant mais il est loin d’être le seul. D’autres processus sont également à l’œuvre et bien plus difficiles à combattre, car ils sont légaux et présentés comme légitimes. C’est le cas par exemple de la composition des organes de gouvernance lorsqu’ils incluent majoritairement des acteurs privés au fort pouvoir économique, des acteurs publics et des gouvernements dont la priorité reste le développement économique. Certains groupes, voire certains pays, en sont ainsi régulièrement exclus. La mise en place des zones marines protégées est un bon exemple de ces processus de décision qui manque d’inclusivité : celles avec des niveaux de protection élevés continuent d’être mises en œuvre préférentiellement dans les zones à faible intérêt économique pour les secteurs industriels, mais à fort intérêt économique et patrimoniaux pour les communautés côtières qui dépendent fortement des ressources océaniques. 

 

Pour contrer ces mécanismes, les scientifiques préconisent un recours au concept de justice procédurale, qui permet de diminuer les asymétries de pouvoir en donnant la parole aux parties prenantes silencieuses (les plus pauvres, les femmes, les jeunes, la biodiversité). Autre piste abordée : défragmenter la gouvernance pour moins travailler en silos et veiller à ce que les décisions favorables à un enjeu humain (par exemple la production d’énergie renouvelable) ne nuisent pas de façon grave et irréversible à un autre enjeu humain (par exemple la biodiversité ou la pêche artisanale). 

 

La participation du plus grand nombre aux décisions nécessite un changement profond de culture et de processus qu’il faut accompagner, mais qui est tout à fait possible.  

  • Par exemple, le Conseil de l’Arctique a pris des mesures pour protéger les identités culturelles et les pratiques coutumières de chasse aux mammifères marins des peuples autochtones.  
  • La justice peut aussi intégrer des mécanismes de réparation pour rétablir la reconnaissance et les inégalités de répartition. Par exemple, l’État de Californie a restitué sa propriété côtière à une famille noire dépossédée 90 ans auparavant. 

 

 

Intégrer les divers valeurs, savoirs, indicateurs en amont des décisions 

 

Le savoir, la connaissance et les données qui sont utilisées pour prendre les décisions sont également un point clé des injustices environnementales. Les impacts sociaux et environnementaux des activités sont souvent négligés par rapport aux retombées économiques de ces mêmes activités. De même, les décisions doivent considérer tous les services écosystémiques potentiellement favorisés ou impactés. S’agissant d’océan, la pêche est souvent au cœur des débats. Par ailleurs, il est important de ne pas appliquer des principes de justice simplifiés et généralisés (par exemple des pays du Nord vers les pays du Sud). Les différences et les singularités entre pays ou entre territoires sont importantes et doivent être prises en compte pour que les actions soient adaptées à chaque contexte socio-environmentalo-économique. 

  • Par exemple, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Îles Salomon, le financement des initiatives de développement de la pêche a eu des bénéfices limités car il ne correspondait pas aux valeurs socioculturelles locales, aux contraintes de conservation de la biodiversité ou aux besoins d’adaptation au changement climatique 

 

Au niveau mondial comme au niveau local, des actions sont possibles. Dans le premier cas, un organisme intergouvernemental holistique sur les océans ou un réseau d’organismes existants, intégrant une diversité d’acteurs et leur système de connaissance, pourrait voir le jour afin de garantir une meilleure coordination intersectorielle fondée sur des données probantes et des valeurs. Dans le second, une planification territoriale marine intégrée et inclusive doit inclure tous les acteurs, intégrer les données sociales et environnementales et garantir une répartition juste des bénéfices. En parallèle, fournir des moyens à la recherche et aux chercheurs et chercheuses des différents pays permet de garantir une meilleure évaluation des bénéfices économiques et immatériels adaptés au contexte. 

 

 

Veiller à ce que la décision profite au plus grand nombre 

 

Enfin, le dernier point de levier consiste en l’identification des bénéficiaires de la ressource : sont-ils nombreux ou limités ? Équitable ou concentrés ? Le mécanisme international de partage juste et équitable des avantages issus de la biodiversité ne concerne que les ressources génétiques : les scientifiques préconisent dans l’étude de l’étendre aux ressources marines (les poissons, les algues, etc.) et aux services écosystémiques que nous retirons de l’océan (la régulation du climat, le tourisme, etc.). D’autre part, les gouvernements nationaux, les agences multilatérales et les organisations internationales peuvent investir dans des pratiques organisationnelles qui déclenchent le dialogue sur le pouvoir, notamment en invitant des entités indépendantes à revoir leurs pratiques. 

  • Aux Fidji et aux Îles Salomon et Vanuatu, un levier clé pour améliorer l’équité entre les sexes dans la gestion côtière a été la construction de partenariats stratégiques entre praticiens de la conservation et du développement travaillant sur le genre et les droits de l’homme. 

 

 

Conclusion 

 

Des changements mineurs dans le fonctionnement global du système sont régulièrement mis en œuvre. Ils sont importants, pour initier l’engagement de tous les acteurs, mais restent insuffisants. C’est en effet un véritable changement transformateur profond qui est à présent nécessaire pour augmenter l’équité et la justice bleue. 

[Biodiversité et changement climatique] Mieux comprendre la redistribution du vivant pour mieux anticiper l’avenir

Ces dernières semaines, trois papiers majeurs sont parus à ce sujet dans des revues scientifiques différentes (Nature Reviews Earth & Environement, Proceedings of the National Academy of Science, Global Change Biology) : le fruit d’un travail conséquent mené par un consortium de 23 chercheurs et chercheuses de 8 nationalités différentes, réunis au sein de BioShifts, un groupe de recherche financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), à travers son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab).

 

En montagne, les neiges éternelles marquent une limite entre le royaume des glaces de l’étage nival et les étages sous-jacents. C’est la manifestation visible et tangible de l’isotherme du 0°C. Avec le réchauffement, l’isotherme du 0°C remonte inexorablement, et de manière accélérée, vers les sommets en altitude et vers les pôles en latitude, et avec lui la limite des surfaces gelées. Alors qu’il était jusqu’à présent largement accepté que les migrations du vivant suivaient cette même logique, une étude publiée en avril par le consortium BioShifts dans la revue Nature Reviews Earth & Environment montre que seulement 59 % des migrations d’espèces documentées dans la littérature scientifique sont conformes aux directions attendues (c’est-à-dire vers les pôles en latitude ou les sommets en altitude). En analysant les données publiées à travers plus de 250 études, les scientifiques confirment la migration des espèces mais révèlent qu’elles ne se déplacent pas toutes dans les mêmes directions (35 % partent même dans des directions opposées) ni même à la même vitesse que la migration des isothermes. D’autres paramètres que la température entrent donc en jeu pour expliquer les différences entre la redistribution et la vitesse de migration des espèces attendues et celles finalement observées.

 

Une première piste proposée par le groupe incite à considérer la connectivité spatiale des habitats et donc des isothermes. Celle-ci est par exemple plus importante et resserrée en montagne que dans les régions de grandes plaines, ce qui pourrait expliquer des différences de vitesse de migration (cf J. Lenoir, PNAS 2024). La seconde piste concerne les traits d’histoire de vie ou caractéristiques fonctionnelles des espèces. Dans une autre étude, parue cette année dans la revue Global Change Biology, les chercheurs et chercheuses du groupe BioShifts montrent cette fois que le degré d’exposition au changement climatique affecte différemment la redistribution des espèces en fonction de leurs caractéristiques fonctionnelles (durée de vie, capacités de dispersion, etc.). Bien que leur prise en compte soit complexe, ne pas les prendre en compte peut amener à conclure, à tort, que les traits d’histoire de vie ne sont pas importants. Un phénomène décrit avec précision dans l’étude qui dresse une feuille de route avec des recommandations adressées aux chercheurs pour mieux les intégrer par la suite dans leurs études.

 

Grâce aux méthodes pointues de synthèses de données et de connaissances, les travaux menés par les scientifiques du groupe Bioshifts offrent aujourd’hui une vision plus claire de la manière dont les espèces s’adaptent au changement climatique. Des informations précieuses pour perfectionner les scénarios et mieux éclairer les décideurs.

[Interview] Les formes de pouvoir à l’œuvre dans les processus participatifs : un levier pour des actions de conservation plus efficaces ? Rencontre avec Lou Lecuyer

Depuis 2021, les membres du projet FRB-Cesab PowerBiodiv tentent de mieux comprendre comment les multiples dimensions du pouvoir imprègnent ces processus et comment cette compréhension peut conduire à leur amélioration dans un objectif de conservation de la biodiversité. Une quinzaine de chercheuses et chercheurs internationaux mettent ainsi en commun leurs expertises en science politique, sociologie, biologie de la conservation, géographie, facilitation, écologie et anthropologie. Fin mai 2024, une partie de leurs résultats a été publiée dans la revue internationale People and Nature. Rencontre avec Lou Lecuyer, post-doctorante sur ce projet.

 

 

  • Les travaux du groupe PowerBiodiv ont permis d’établir une typologie des formes de pouvoir, c’est notamment ce que vous mettez en avant dans le dernier article publié. Pouvez-vous nous expliquer le cadre conceptuel que vous proposez  ?

 

Nous sommes partis du constat que, bien que l’importance des relations de pouvoir soit de plus en plus reconnue comme un facteur clé pour obtenir de meilleurs résultats dans les processus participatifs pour la biodiversité, peu de publications s’appuient sur la théorie existante ou expliquent comment prendre en compte le pouvoir. Nous avons donc exploré d’autres domaines, comme celui du développement, pour voir ce qui avait été écrit à ce sujet et avons décidé de nous inspirer du cadre théorique proposé par Just Associates en l’appliquant à des cas concrets sur lesquels nous avons travaillé.

Notre cadre reconnaît qu’il existe toujours plusieurs dimensions de pouvoir en jeu, parfois simultanément (cf Figure ci-après). Le “pouvoir sur” est ainsi constamment remis en question par le “pouvoir transformateur” (par exemple, les mouvements de résistance) et cela peut se manifester dans différentes arènes, de diverses manières, et à travers plusieurs échelles.

 

Figure : Cadre des dimensions multiples du pouvoir adapté du cadre du pouvoir de Just Associated (2023) et de l’Institute of Development Studies (Gaventa, 2006) et du Power Cube. (Adapté de Lecuyer et al. 2024)

 

 

Par exemple, dans le cas d’un processus participatif visant à décider des moyens de gestion d’un parc dans le nord de la Thaïlande, il fallait surmonter une forte dimension systémique. Les minorités ethniques y étaient perçues par les décideurs, employés du parc et personnes extérieures, comme inéduquées et utilisant des pratiques polluantes pour le bassin versant. Passer au-dessus de ces aprioris a demandé la mise en place d’une démarche qui prenait en considération les différentes dimensions du pouvoir – les femmes sont ainsi venues en plus grand nombre, permettant d’ouvrir plus largement l’espace de dialogue et mobilisant leur “pouvoir avec”. En parallèle, le directeur du parc a aussi utilisé une forme de “pouvoir de” en décidant de ne pas prendre parti à certaines étapes du processus, limitant l’impact possible (cf Figure). Dans un cas comme celui-ci, l’utilisation du cadre en amont des processus permettrait de mieux anticiper cela, en identifiant que, si les femmes viennent en plus grand nombre, elles sont plus à même de prendre la parole et en mettant donc en place les stratégies nécessaires pour faire venir plus de femmes ; ou bien de mettre des stratégies en place pour s’assurer de la participation des personnes qui ont les pouvoirs de décisions. 

 

 

  • Quelle place tiennent les connaissances scientifiques dans ce cadre conceptuel ? En particulier, quelle est place est donnée à l’incertitude, à la fois comme composante systémique ou comme mécanisme d’influence, dans les dynamiques de pouvoir ?

 

Les connaissances scientifiques sont le fondement de notre cadre conceptuel, qui repose sur les travaux théoriques et empiriques de nombreux auteurs, notamment les travaux de Lukes sur les dimensions du pouvoir. Nous avons choisi cette représentation, car elle permet de considérer le pouvoir à différents niveaux : à la fois au niveau des acteurs (leur capacité à agir seuls ou en groupe) et au niveau structurel (intégré dans notre manière de percevoir et de penser le monde, ou dans la reconnaissance de certaines connaissances au détriment d’autres).

L’incertitude peut s’exprimer à différents niveaux. Dans les arènes du pouvoir, l’incertitude peut être utilisée pour maintenir le statu quo et repousser l’action, se manifestant ainsi par des stratégies cachées. Dans les dimensions du pouvoir, l’incertitude réelle peut affecter le “pouvoir de”, le manque de connaissance limitant la capacité d’agir.

Le pouvoir est souvent lié aux questions de connaissance et donc d’incertitude. Il est crucial de se demander quelles connaissances sont prises en compte, considérées comme légitimes, et influencent la prise de décision. Ces questions sont essentielles dans les processus participatifs pour la biodiversité.

 

 

  • Les résultats de vos recherches amènent à l’idée que le changement transformateur (concept fort de l’Ipbes) passe par un changement des dynamiques de pouvoir, pouvez-vous nous en dire davantage ? Quel enjeu y a-t-il notamment à prendre en compte davantage les non-humains dans ces processus ?

 

L’importance des dynamiques de pouvoir pour induire des changements transformateurs est reconnue depuis longtemps. Ce qui nous semblait important cependant était de savoir, une fois que l’on dit que les relations de pouvoir sont importantes, comment pouvons-nous les analyser ? Il s’agit de ne pas se concentrer uniquement sur le pouvoir coercitif, mais aussi sur le pouvoir d’agir, car pouvoir et contre-pouvoir sont toujours en relation.

Nous avons également cherché à comprendre comment les questions de biodiversité influencent ces dynamiques de pouvoir. Nos études de cas montrent des situations variées : certaines compagnies utilisent leur pouvoir lors de ces processus pour essayer de privatiser des ressources, entraînant une perte de biodiversité, tandis que certains processus participatifs pour la biodiversité, en essayant d’améliorer la conservation des espèces, risquent de renforcer les inégalités existantes entre participants si elles ne prennent pas en compte les dynamiques de pouvoir en place. Dans certains cas, les connaissances scientifiques dominent le processus, tandis que dans d’autres, différentes formes de connaissance sont prises en compte. Je reconnais que en revanche aucun des cas utilisés dans l’étude n’a tenté de représenter explicitement les non-humains. Cependant, grâce à l’expérience des professionnels de la facilitation impliqués dans notre groupe, nous suggérons que des approches plus sensibles, telles que l’utilisation de représentations artistiques comme le théâtre forum ou de nouvelles formes de narrations plus proches de l’histoire contée que du rapport scientifique, pourraient aider à mieux les intégrer.

 

 

  • Concrètement, comment les enseignements tirés de vos travaux peuvent-ils être opérationnalisés de manière à en voir les effets vertueux, pendant ou en amont d’un processus participatif ?

 

Ce cadre théorique constitue la première étape de notre projet. À partir de ce cadre, nous avons élaboré une grille d’analyse pour mener une revue systématique de la littérature (ndlr : une méthode robuste de synthèse de connaissances), afin de mieux comprendre le lien entre la prise en compte des multiples dimensions du pouvoir et les impacts sur la biodiversité. Bien que ce travail soit en cours, nous constatons déjà qu’il existe peu de publications détaillant à la fois les relations de pouvoir dans les processus participatifs en lien avec la biodiversité et les impacts de ces processus sur la biodiversité. Cependant, nous pouvons identifier quelles dimensions du pouvoir sont fréquemment analysées (comme le “pouvoir avec”, à travers des questions de confiance, par exemple) et lesquelles le sont moins (comme les questions de pouvoir caché et invisible).

Nous travaillons également à utiliser ce cadre théorique comme grille de lecture pour développer des pratiques réflexives sur les dimensions de pouvoir avant, pendant ou après un processus participatif. En tant que commanditaires, organisateurs, facilitateurs ou participants d’un processus participatif, vous pouvez vous interroger sur les dimensions de pouvoir en jeu : Y a-t-il des différences systémiques entre les participants qui permettent à certains d’être plus influents ? Que se passe-t-il en dehors du processus  participatifs pour la biodiversité qui pourrait avoir un impact sur celui-ci ? Quelles alliances existent ou se forment au cours du processus ? Etc.

Enfin, un dernier axe sur lequel nous souhaitons travailler est de déterminer, une fois l’analyse des dimensions de pouvoir réalisée, comment utiliser ces informations. Comment les communiquer ? Quels sont les risques ? Quel est notre rôle en tant que représentant institutionnel, chercheur ou facilitateur face à ces dimensions de pouvoir ? Avons-nous le courage de parler ouvertement des relations de pouvoir ?

Justice sociale et gouvernance équitable : des clés pour une conservation réussie

Pour combler ces lacunes, un groupe de chercheurs et chercheuses internationaux, dont plusieurs membres font partie de la Commission des Politiques environnementales, économiques et sociales de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ont travaillé ensemble pendant quelques années à travers le Centre de synthèse et d’analyse de la biodiversité, le Cesab de la FRB. En mai 2024, ils ont publié une importante étude dans One Earth, s’appuyant sur près de 650 articles scientifiques. Ils apportent ainsi une meilleure compréhension de ce qui fonctionne le mieux, pour les humains et pour la nature et appellent à un changement profond en faveur d’une justice sociale et d’une gouvernance équitable. En examinant 648 études, l’équipe a d’abord répertorié six manières dont les peuples autochtones et communautés locales sont impliqués dans la conservation et les a classés selon une échelle allant de leur exclusion à leur autonomie en passant par le partenariat. Elle s’est ensuite intéressée, aux 170 études mettant en avant les liens entre leurs rôles et la réussite ou non des projets (voir la figure ci-après). Les résultats sont sans équivoque :

 

Figure : Rôle des peuples autochtones et communautés locales dans les projets de conservation et résultats écologiques associés.

 

 

Lorsque les peuples autochtones et les communautés locales sont exclus ou impliqués uniquement comme participants ou parties prenantes, ils peuvent se retrouver dans l’incapacité d’influencer des décisions d’une grande importance pour leur vie quotidienne, voir leurs droits violés ou encore se voir refuser l’accès à des terres d’importance culturelle. Dans ces cadres, la grande majorité des résultats écologiques ne sont pas optimums voire contre-productifs.

 

Au contraire, à mesure que l’on gravit les échelons et que des partenariats sont établis à égalité avec les instances de conservation, avec un contrôle et une reconnaissance culturelle accrus pour les communautés, la réussite écologique va de pair avec cette reconnaissance. Les communautés peuvent faire l’expérience du respect de leurs valeurs, de leurs droits, de leur identité et de leur culture, de l’autonomisation, de la coopération et de la confiance, autant d’éléments qui leur permettent d’établir un lien avec la nature et le territoire et d’en être les gardiens, tout en améliorant leur qualité de vie, tant sur le plan individuel que collectif.

 

Pour les auteurs, donner aux peuples autochtones et communautés locales les moyens d’agir en tant que partenaires et chefs de file est aujourd’hui indispensable pour une conservation juste et efficace dans l’optique d’atteindre les objectifs du cadre mondial de la biodiversité. Bien que la transformation des approches stratégiques, de la conception, des capacités, des processus et des interactions, du financement et de la mise en œuvre des processus de conservation prenne du temps, ils soulignent différentes initiatives existantes et intéressantes, telles que l’inclusion croissante des aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire, aussi appelés territoires de vie.  

 

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Un effort de collaboration basé sur les droits et la justice est nécessaire pour parvenir à un changement radical et cela s’applique à toutes les initiatives de conservation des espèces et des habitats, y compris la nouvelle vague d’initiatives visant à atteindre l’objectif de conservation de 30 % d’ici à 2030 et à restaurer les paysages dégradés de la planète. 

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Pour « vivre en harmonie avec la nature », intégrons au moins 20 % d’habitats natifs dans les paysages gérés

À travers les 23 cibles à atteindre, le cadre propose de s’appuyer sur un indicateur de l’état des écosystèmes : l’intégrité écologique qui a besoin d’élargir sa pertinence et de devenir opérationnel pour une meilleure appropriation par les États et parties prenantes. Un des enjeux autour de cette notion est de dépasser le postulat initial selon lequel cet indicateur ne s’appliquerait qu’aux écosystèmes naturels protégés en l’étendant aux écosystèmes gérés.

 

Dans une étude publiée en 2020, Garibaldi et al. préconisent que, pour aller vers de meilleures synergies entre utilisation et conservation de la nature, les habitats natifs doivent constituer au moins 20 % de la superficie des écosystèmes gérés, notamment agricoles. Cet objectif peut s’inscrire dans des objectifs nationaux comme la restauration des connectivités et l’augmentation de l’efficacité des réseaux d’aires protégées, notamment là où elles sont peu nombreuses. À travers le décryptage de cet article, présenté ici avec un focus sur la situation en France, la FRB propose une première approche invitant à questionner la notion d’intégrité pour les écosystèmes gérés. Un préambule à la parution d’un travail plus vaste mené sur la notion d’intégrité par la FRB et son Conseil scientifique, à découvrir à la rentrée !

 

Les messages-clés de la publication

 

  • Outre des avantages pour la sécurité alimentaire, atteindre un objectif minimal de 20 % d’habitats natifs dans les paysages gérés présente des avantages pour les services de régulations, les diverses contributions de la nature aux humains, la connectivité et l’efficacité des réseaux d’aires protégées.

 

  • La conservation et la restauration d’habitats natifs sont techniquement possibles sans perte de production, agricole notamment. Elles sont également complémentaires aux efforts visant à étendre et établir des zones protégées.

 

  • En France, plusieurs éléments peuvent contribuer très concrètement à atteindre l’objectif proposé des 20 % d’habitats natifs, parmi lesquels la plantation de haies.

 

  • La mise en place d’une stratégie de restauration et de conservation d’habitats natifs est tout à fait possible et fortement souhaitable. Elle nécessite néanmoins une coordination entre les gouvernements, les propriétaires, les gestionnaires fonciers, les entreprises et les organisations issues de la société civile. Le rôle des pouvoirs publics, par l’adoption de politiques et de législations pertinentes, est essentiel.

 

Les loups rendent les routes plus sûres, permettant d’importants bénéfices économiques

Alors que les effets écologiques en cascade résultant de la suppression ou de la réintroduction de prédateurs sont de mieux en mieux connus, on sait peu de choses de leurs impacts sur les vies humaines ou les biens matériels.

 

Une première étude quantifie les effets de la restauration des populations de loups en évaluant leur influence sur les collisions entre les cerfs et les véhicules dans le Wisconsin. Elle montre que, pour un comté moyen, l’arrivée des loups a réduit de 24 % les collisions entre cerfs et véhicules. Un bénéfice économique 63 fois supérieur aux coûts de la prédation sur le bétail par les loups. Ces résultats s’expliquent principalement par une modification du comportement des cerfs plutôt qu’à un déclin de leur population dû à la prédation par les loups. Ce constat corrobore les recherches écologiques qui soulignent le rôle des prédateurs dans la création d’un “paysage de la peur”.

 

Dans cette étude, l’équipe de recherche suggère que les loups atténuent plus les préjudices économiques causés par la surabondance de cerfs que les chasseurs. Les auteurs proposent deux mécanismes, les changements de comportement des proies et la diminution de l’abondance des proies. Ils concluent que la chasse est moins efficace que les loups pour réduire les collisions.

 

Et en France ?

 

En France aussi, la prédation par les loups permet de réduire le nombre de collisions entre les ongulés sauvages et les véhicules. 

 

Une deuxième étude menée cette fois ci en France, estime les bénéfices indirects de la recolonisation des loups en France à travers la réduction des collisions avec les ongulés sauvages. Les auteurs ont ainsi montré que la prédation de 530 loups sur des chevreuils et des sangliers en 2018 pourrait bien avoir permis d’éviter 16 blessés et un tué lors de collisions routières. D’après le scénario principal de l’étude (un taux d’indemnisation de 50 %), cela correspond à plus de 4 millions d’euros de dommages humains et matériels. En fonction d’autres scénarios, cette valeur monétaire pourrait dépasser plus de 10,5 millions d’euros.

 

Cette étude représente la première tentative d’évaluation de la valeur économique des services rendus par les loups à la société française. Les bénéfices attendus devraient théoriquement augmenter si la population de loups augmente et diminuer si cette population se réduit. Aujourd’hui, l’estimation de la population de loup fait état de 1003 individus répartis sur 50 départements (comptage 2023). Un argument supplémentaire pour considérer cette augmentation du nombre de loup comme une réussite de conservation et une opportunité de bénéficier de services rendus par ce prédateur.