[Ipbes] Au cœur de la 8e plénière
L’équipe FRB vous raconte jour après jour les coulisses de la plénière.
Malgré des échanges parfois fastidieux et dénotant de profondes différences d’appréciation sur le rôle de la plate-forme intergouvernementale, cette 8e plénière a tout de même réussi à remplir ses objectifs principaux qui étaient l’adoption de son budget (sans lequel elle ne pouvait pas continuer ses activités) et des documents de cadrage des deux évaluations “nexus” et “changements transformateurs” (sans lesquelles le début des travaux sur les évaluations aurait dû être repoussé). Même si la préservation de la dynamique de l’Ipbes a conduit la délégation française, ou l’Union européenne, à faire des compromis sur leurs positions, c’est une grande satisfaction que de voir ce processus poursuivre son chemin sans dégradation de la qualité des futurs travaux scientifiques.
Retour sur les échanges jour après jour :
La présidente de l’Ipbes, Ana Maria Hernandez, a ouvert les travaux de la plénière. L’Ipbes compte aujourd’hui 137 États membres. Avec les nombreuses organisations observatrices, dont le Cirad, le CNRS, INRAE, l’IRD et le MNHN, on dénombre près de 900 participants enregistrés pour cette plénière, regroupés dans des dizaines de délégations.
La secrétaire exécutive Anne Larigauderie a présenté les accomplissements de l’Ipbes la plénière de 2019 qui s’était tenue en France. On notera en particulier l’impact que l’évaluation mondiale a eu après son adoption par la 7e session plénière de l’Ipbes. Les conclusions de l’Ipbes ont été reprises par des États, des entreprises, et des groupes peu actifs auparavant sur les questions de biodiversité. L’Ipbes a commencé à travailler sur trois nouveaux thèmes :
- les interdépendances entre biodiversité, eau, alimentation et santé ;
- les changements transformateurs ;
- les impacts et dépendances entre entreprises et biodiversité.
Les documents de cadrage des deux premiers feront l’examen d’une discussion plus approfondie au cours des 10 prochains jours, la 8e session plénière discutant des rapports de cadrage de deux évaluations à venir qui y seront consacrés. Ces rapports de cadrage constitueront le « cahier des charges » transmis aux groupes d’experts qui sera constitué d’ici la fin de l’année.
La plénière a remercié tous les experts qui ont contribué et continuent de contribuer bénévolement à ses travaux, y compris dans les affres de la pandémie. Leur implication auprès de l’Ipbes depuis 2019 représente plus de cinq millions de dollars de temps de travail.
Les délégations ont également noté la parution de deux rapports d’atelier de l’Ipbes : l’un consacrée aux pandémies et à la biodiversité (octobre 2020) et l’autre aux liens entre changements climatiques et biodiversité (juin 2021) ont également été rappelés aux délégations.
Cette plénière en ligne est à la fois une opportunité pour que des plus grandes délégations étatiques et institutionnelles puissent assister aux travaux, sans contraintes de déplacement, et un défi, comme de premiers soucis techniques de connexion l’ont montré. Par ailleurs, les différences de fuseaux horaires se feront sentir : il était 5h00 du matin pour plusieurs délégués d’Amérique latine lorsque la session a commencé, et il était 1h00 du matin passé pour les délégations d’Océanie lorsqu’elle s’est terminée.
Le travail a sérieusement commencé mardi matin avec, en premier lieu, la réunion du groupe de contact sur le budget, consacrée aux commentaires généraux sur les aspects budgétaires et financiers et aux budgets prévisionnels 2021, 2022 et 2023. Les discussions ont porté sur les pistes permettant de faire des économies dans les années à venir, par exemple grâce au format en ligne de certaines réunions ou de récolter davantage de dons en provenance du secteur privé. Les discussions reprendront vendredi, journée entièrement dédiée à ce point.
Concernant le cadrage de l’évaluation “nexus” sur les liens d’interdépendance entre la biodiversité, le climat, l’eau, l’alimentation, et la santé, le travail a mis en exergue des divergences de point de vue entre les Etats membres sur la manière dont seront traités l’énergie et le changement climatique. D’autres enjeux importants ont été abordés comme l’inclusion de l’étude des écosystèmes marins et les solutions fondées sur la nature. Les discussions se poursuivront lors des prochains groupes de travail pour trouver un consensus sur ces points.
Le travail sur le cadrage de l’évaluation sur les changements transformateurs a bien progressé et les États membres ont montré une bonne volonté de finir l’examen du document dans le temps imparti, en faisant preuve de flexibilité sur leurs commentaires. Le groupe d’experts multidisciplinaire de l’Ipbes et des auteurs du document de cadrage ont pu échanger avec les délégations nationales pour clarifier certains points. Les débats ont porté sur la mention d’accords internationaux comme l’Accord de Paris ou l’Agenda 2030 des Objectifs de développement durable et la prise en compte des différentes visions du monde et des différents systèmes de connaissance, y compris la science et les systèmes de connaissance autochtones et locaux qui font partie intégrante du cadre conceptuel de l’Ipbes.
Au cours de ces deux journées de plénière, la France a pu prendre la parole de nombreuses fois pour faire valoir ses positions concernant la prise en compte de l’énergie dans l’évaluation nexus, un enjeu qui présente des synergies et des interrelations avec la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé. La France a également été force de proposition pour suggérer des compromis permettant d’arriver à un consensus sur les points soulevés par les délégations.
Le groupe de travail dédié a trouvé un accord sur le rapport de cadrage de l’évaluation sur les changements transformateurs jeudi 17, et le document est prêt pour être soumis à l’approbation de la plénière le 24 juin prochain. Le groupe a discuté de l’examen des liens entre les facteurs indirects et les facteurs directs de l’érosion de la biodiversité qui pourrait être conduit dans le cadre de l’évaluation sur les changements transformateurs. Il a également abordé les questions des inégalités sociales, politiques et économiques, de l’échelle individuelle à internationale.
Le groupe de travail sur le rapport de cadrage de l’évaluation “nexus” a réalisé de bons progrès grâce à la coopération des États membres qui ont travaillé de manière constructive. Les discussions sur l’inclusion de l’énergie dans les composants du nexus et notamment dans les mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques se sont poursuivies. Un compromis a été trouvé dans la formulation de ces enjeux.
La journée de vendredi était entièrement consacrée au groupe de travail sur le budget. Malgré les difficultés liées à la crise de la Covid-19, les experts de l’Ipbes sont restés mobilisés. L’organisation de la majorité des réunions en ligne a entrainé une diminution significative des dépenses de la plateforme.
Les États membres de l’Ipbes ont examiné en détail les projections budgétaires pour 2021 à 2023, et discuté de pistes permettant de réaliser des économies futures. Les réunions en présentiel posent également la question de l’empreinte environnementale de l’Ipbes. Le budget pour 2021, de près de 6 millions de dollars américains, a été accepté et sera soumis à la plénière jeudi pour approbation formelle.
Les discussions se poursuivent sur la manière dont l’Ipbes peut reconnaÎtre les contributions provenant du secteur privé ou d’organisations non gouvernementales. Elles représentent un complément bienvenu au fonds fiduciaire de la Plateforme qui repose uniquement sur les contributions volontaires des États en termes de liquidité. Trois entreprises ont contribué au fonds de l’Ipbes depuis 2018, à hauteur de 573 000 dollars américains environ.
Les discussions sur le cadrage de l’évaluation “nexus” ont été denses et l’examen du descriptif des chapitres de l’évaluation était arrivé à son terme lundi soir. La France a pu exprimer sa position sur la prise en compte des approches One Health et Eco Health qui incluent la santé animale, végétale, environnementale et humaine.
Mardi, la relecture des documents s’est accélérée. Les discussions ont été réduites au strict minimum (la présidence a appelé les délégations à ne faire part que des sujets les plus brûlants pour elles), par manque de temps. Cela a provoqué une certaine tension du côté des délégations par peur de voir leurs efforts d’une semaine balayés par une approbation trop rapide des documents. Il fallait en effet finir l’examen du cadrage de l’évaluation nexus, il restait un point formel en suspens à régler sur le cadrage de l’évaluation des changements transformateurs, et l’examen des plans de travail des équipes spéciales n’avait pas encore commencé. Le groupe Budget avait par ailleurs deux sessions prévues pour finaliser ses travaux. L’ensemble de ces points a été abordés par la plénière, mais a nécessité plusieurs va-et-vient parfois difficiles à suivre.
Le groupe de contact dédié au budget est arrivé à un consensus concernant la reconnaissance des contributions provenant du secteur privé ou d’organisations non gouvernementales au fonds fiduciaire de l’Ipbes. N’ayant pas pu tenir sa dernière session prévue mardi après-midi, le groupe se réunit mercredi pour finaliser les budgets pour 2022 et 2023.
À l’issue des discussions de mardi, le cadrage de l’évaluation “nexus” a été approuvé par le groupe de travail. Les débats ont mis en exergue les préoccupations politiques des États membres, notamment concernant la période couverte par l’évaluation et l’intitulé de l’évaluation contenant la liste des éléments faisant partie du nexus. À la clôture de la journée, plusieurs délégations notaient avec regret que les crispations politiques autour de ce document de cadrage ne faisaient pas honneur au travail de longue haleine mené par le groupe d’experts internationaux nommés expressément par les États pour préparer le document pendant plus de 18 mois. Trois versions successives du document avaient par ailleurs fait l’objet de relectures et de commentaires écrits, y compris par les États, depuis l’été 2020.
Les plans de travail des équipes spéciales sur le renforcement des capacités, le travail avec les systèmes de savoirs traditionnels et locaux, les connaissances et les données, l’appui à l’élaboration des politiques et les scénarios ont pâti du retard accumulé sur les autres points à l’ordre du jour et n’ont pu faire l’objet que d’un examen rapide. La France a exprimé sa volonté d’une meilleure prise en compte des savoirs vernaculaires, détenus par des communautés de savoirs tels que les praticiens, les citoyens ou les acteurs de terrains, en écho aux retours du Cos de la FRB lors de leur participation aux travaux de l’Ipbes. L’emphase sur cet élément n’a finalement pas été retenue par la Plénière, qui indique bien intégrer ces savoirs dans l’expressions “savoirs traditionnels et locaux” qui font déjà l’objet d’un travail dédié à l’Ipbes.
La journée de mardi s’est terminée par un début d’examen du projet de décision qui sera validé lors de la plénière de jeudi. Les débats ont principalement concerné les rapports d’atelier “pandémies et biodiversité” et “changements climatiques et biodiversité”, des travaux qui ne sont pas examinés en détail par la plénière, mais sur lesquels elle est amenée à se prononcer.
Après dix jours de travail intense, les discussions à l’Ipbes se sont achevées ce jeudi en fin d’après-midi avec notamment l’adoption du rapport de cadrage de l’évaluation thématique des liens entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé (évaluation “nexus”) et du rapport de cadrage de l’évaluation thématique des causes sous-jacentes de la perte de biodiversité et des déterminants des changements transformateurs et des options pour réaliser la Vision 2050 pour la biodiversité (évaluation sur les changements transformateurs). Les budgets 2021, 2022 et 2023 et le programme de travail des équipes spéciales ont également été adoptés.
Reflet des dissensions qui s’étaient déjà exprimées dans le groupe de travail, la question de l’inclusion du changement climatique et de l’énergie dans le titre du document de cadrage de l’évaluation nexus a ressurgi lors de la session plénière finale. Les deux enjeux n’y sont finalement pas mentionnés alors qu’un chapitre leur sera entièrement consacré. Les experts ont confirmé que ces questions seront de toute manière traitées dans l’évaluation et qu’elles ressortent déjà de l’examen de la littérature existante. Cette omission dans le titre de l’évaluation nexus pourrait cependant entrainer une appropriation partielle de ses résultats futurs, surtout si les décideurs dans le secteur de l’énergie ou dans les politiques de lutte et d’adaptation au changement climatique ne se sentent pas concernés par cette évaluation. Or, l’évaluation nexus portera bien sur les liens entre la biodiversité, le changement climatique et les politiques d’adaptation et d’atténuation qui lui sont liées (y compris les questions relatives aux systèmes énergétiques), l’eau, l’alimentation et la santé. Elle envisagera des approches holistiques fondées sur différents systèmes de connaissances pour mettre en évidence les rétroactions et la résilience des liens entre les différents éléments du nexus, ainsi que les opportunités, les synergies et les compromis entre les différentes options de réponse en termes d’impacts sociaux, économiques et environnementaux.
L’évaluation des changements transformateurs apportera quant à elle une analyse complémentaire, cherchant à identifier les déterminants des changements transformateurs, la manière dont ils se produisent, les obstacles auxquels ils peuvent être confrontés et les options pratiques d’action permettant d’accélérer ces changements. L’évaluation traitera des dimensions psychologiques, comportementales, sociales, culturelles, économiques, politiques, de gouvernance, institutionnelles, démographiques, scientifiques, techniques et technologiques, correspondant aux facteurs de changement indirects de la biodiversité. Une meilleure compréhension de la manière dont ces facteurs peuvent évoluer peut contribuer à l’élaboration de politiques et d’actions visant à déclencher des changements transformateurs en vue de préserver et d’utiliser durablement la biodiversité.
La plénière était divisée sur le degré de portage politique qu’elle devait réserver aux rapports d’atelier de l’Ipbes sur les thématiques “biodiversité et climat” et “pandémies et biodiversité”. Les conclusions de ces groupes n’ont pas été discutées en détail lors de l’Ipbes-8 et n’avaient pas vocation à l’être. Cependant, de forts désaccords (qui pointaient déjà lors de la 24e session de l’organe de la Convention sur la diversité biologique chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques, organisée en mai-juin 2021) sont apparus concernant leur appréciation par la plénière. Le sujet a dû être résolu au sein d’un groupe des “amis de la présidence” formé de manière ad hoc pour trouver un consensus. Les échanges se sont prolongés dans le temps et ont conduit la présidente de l’Ipbes à conclure la 8e session plénière de l’Ipbes avec un peu de retard, jeudi en fin de journée. La collaboration entre l’Ipbes et le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) devrait néanmoins se poursuivre suite à un premier atelier commun, selon des modalités qui restent à définir au vu des programmes de travail chargés des deux plateformes.
- 14 juin - La 8e session plénière de l’Ipbes a commencé ses travaux
- 15 – 16 juin : L’examen détaillé des cadrages "nexus" et "changements transformateurs" a commencé
- 17 – 18 juin : Adoption du rapport de cadrage sur les changements transformateurs en groupe de travail, belles avancées sur le cadrage "nexus"
- 21-22 juin : Frénésie en ligne pour la finalisation du cadrage de l’évaluation "nexus"
- 24 juin : Conclusion tardive de l’Ipbes-8 après dix jours d’échanges