La conservation sur des espaces surdimensionnés et le déclin de la faune sauvage et du tourisme dans les savanes d’Afrique centrale
Référence de l’article : Scholte, P., Pays, O., Adam, S., Chardonnet, B., Fritz, H., Mamang, J.-B., Prins, H.H., Renaud, P.-C., Tadjo, P. and Moritz, M. (2021), Conservation overstretch and long-term decline of wildlife and tourism in the Central African savannas. Conservation Biology. Accepted Author Manuscript. https://doi.org/10.1111/cobi.13860
Synthèse : Hélène Soubelet, directrice de la FRB
Relecture : Marie-Claire Danner, chargée de communication pour le Cesab et responsable scientifique au sein de la TSU (Unité de Support Technique) de l’évaluation Ipbes sur l’usage durable des espèces sauvages ; Paul Scholte, Pierre-Cyril Renaud et Olivier Pays, auteurs de la publication et membres du projets FRB-Cesab Afrobiodrivers.
Stopper l’érosion de la biodiversité nécessite d’agir à tous les niveaux. Les actions de conservation sont indispensables et elles sont souvent mises en avant comme enjeu majeur en matière de protection de la biodiversité dans les diverses stratégies nationales, européennes et internationales. Néanmoins, ces politiques, comme le démontrent bien les travaux du groupe FRB-Cesab Afrobiodrivers, peuvent être un échec si elles consistent uniquement à étirer la conservation dans les espaces sans en avoir les moyens économiques et politiques. Elles doivent donc être accompagnées d’une part par des actions de restauration des milieux et fonctions écosystémiques, utilisant autant que possible des solutions fondées sur la nature, et d’autre part par des efforts constants et renforcés pour réduire les pressions pesant sur la biodiversité, et notamment les subventions perverses, impliquant tous les acteurs et décideurs à l’origine de ces pressions
Lorsqu’en 2010, les gouvernements du monde se sont engagés à augmenter la couverture des aires protégées à 17% de la surface terrestre mondiale, plusieurs pays d’Afrique centrale avaient déjà instauré la protection de 25% de leurs savanes à des fins de conservation. Pour évaluer l’efficacité de ces outils, des chercheurs du projet Afrobiodrivers, financés par la FRB au sein de son centre de synthèse, ont analysé les résultats de 68 enquêtes menées dans les sept principaux parcs nationaux de savane d’Afrique centrale (1960-2017) ainsi que les informations sur les pressions potentielles impactant la population de grands herbivores (pluviométrie, nombre de gardes) et sur le nombre et les revenus des touristes. Dans six des sept parcs, les populations sauvages de grands herbivores ont considérablement diminué au fil du temps, parallèlement, le nombre de têtes de bétail a augmenté, et le tourisme, le pilier d’une industrie faunique locale autrefois florissante, s’est effondré. Le parc national Zakouma (Tchad) s’est démarqué parce que ses grandes populations d’herbivores ont augmenté, une augmentation qui est positivement corrélée avec les précipitations et le nombre de gardes, démontré ici comme un indicateur de conservation pertinent.
Avec la baisse des revenus et l’insécurité croissante, les gouvernements ont trop peu de ressources pour protéger les vastes zones que représentent les parcs et faire respecter les limites des zones protégées. “Les gouvernements de ces pays sont débordés et essaient de faire plus que ce qu’ils peuvent faire”, a déclaré Paul Scholte, auteur principal de l’étude et directeur du programme Gouvernance et gestion durable des ressources naturelles à Comoé et Taï, deux parcs nationaux de Côte d’Ivoire. “Et la réalité est que l’augmentation des zones sous conservation, en Afrique centrale, pousse les pays à assumer plus qu’ils ne peuvent assumer, alors que la communauté internationale ne leur a pas donné les ressources nécessaires pour s’aligner sur les réalités du terrain.“
La prochaine convention sur la diversité biologique prévue en avril 2022 suggère d’augmenter les zones de conservation pour couvrir 30 % de la surface terrestre de la planète. « L’objectif est noble », a déclaré M. Scholte, « mais sans financement pour soutenir ces objectifs, la plupart des pays à faible revenu ne pourraient pas réussir ». Pour faire face au dilemme que représente l’expansion des aires protégées et la baisse des moyens de gestion, les auteurs proposent d’augmenter les financements, d’améliorer la gestion et de concentrer les actions sur des zones plus petites pour sauver la faune dans les savanes d’Afrique centrale. « Il ne s’agit pas de doubler ou de tripler le financement pour qu’il soit efficace. Il faudrait 10, 15 ou même 20 fois plus de fonds par an pour les budgets de ces parcs. », d’après Paul Scholte. “C’est énorme, et nous savons tous que ce n’est pas réaliste. Donc, nous disons que nous devrions en prendre conscience, le reconnaître, et concentrer ces ressources limitées sur des zones qui sont viables et qui pourraient avoir un plus grand effet sur la conservation des populations de grands herbivores en Afrique centrale ».
Retrouver l’interview complet de Paul Scholte en anglais
La synthèse est disponible dans les ressources téléchargeables.