La notion de durabilité dans la réglementation du commerce d’espèces sauvages
Auteure : Meganne Natali, docteur en droit, élève avocat et Case manager à la Clinique doctorale de droit international des droits de l’Homme d’Aix-en-Provence
Relecteur : Pierre Tousis, chargé de communication à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)
Si le commerce transnational de faune et de flore sauvage a toujours existé, l’envergure de son développement au XXe siècle et le déclin massif des espèces qui en a découlé ont suscité de vives préoccupations pour la préservation de biodiversité. Une réglementation des échanges multilatéraux est ainsi apparue comme indispensable afin d’assurer la durabilité du commerce et celle des espèces visées. Or, il faudra attendre l’élaboration de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) pour disposer d’un instrument juridique contraignant. Entrée en vigueur en 1975, la Cites est venue établir un cadre réglementaire définissant les critères de légalité du commerce multilatéral des espèces sauvages sur la base d’un système perfectionné où la notion de durabilité occupe une place décisive.
Le fonctionnement de la Cites repose sur la prise en compte des données scientifiques sur les populations sauvages, notamment à travers les travaux de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En particulier, la Cites prend en compte les effets négatifs d’un prélèvement commercial sur une population.
La Convention organise une répartition des espèces sauvages en trois annexes en fonction de leurs statuts biologiques :
- Au sein de l’annexe I figurent les espèces considérées comme « menacées d’extinction » et dont les échanges à fins commerciales sont interdits comme le tigre, l’ours malais ou certaines espèces d’orchidées.
- L’annexe II comprend les espèces qui « pourraient […] devenir » menacées d’extinction par le commerce international, renvoyant ici à un principe de précaution qui tend à la mise en œuvre d’une procédure approfondie d’obtention de permis. Parmi ces espèces, on retrouve par exemple le zèbre des montagnes, le pangolin (à l’exception des sous-espèces citées en annexe I) ou les populations d’éléphants de savane d’Afrique.
- L’annexe III, pour finir, comprend les espèces protégées par des États Parties (signataires de la convention) estimant que la coopération des autres Parties1 à la Convention bénéficierait à leur effort de conservation. Leur commerce est également soumis à un dispositif de permis. Contrairement aux espèces inscrites en annexe I et II, le commerce des espèces inscrites en Annexe III, les dispositions de la convention ne s’imposent qu’à l’État ayant souhaité protéger l’espèce. Par exemple, la tortue alligator est protégée par les États-Unis et inscrite à ce titre en Annexe III de la Cites. De fait, la France ou l’Inde ne seront pas soumises aux dispositions de la Cites pour effectuer son commerce, par contre, toute importation ou exportation de l’espèce avec les Etats-Unis sera soumise au système de permis élaboré par la Convention.
Chaque État Partie a l’obligation d’instituer sur son territoire deux structures essentielles : un organe de gestion et une autorité scientifique. Avant toute décision prise par l’organe de gestion, la consultation de l’autorité scientifique est obligatoire. Afin de garantir la durabilité du commerce mis en place, toute délivrance de permis est conditionnée par l’absence de menace sur la survie de l’espèce concernée.
En outre, la création des quotas d’exportations nationaux annuels des espèces inscrites à l’Annexe II a étayé l’approche durable de la Convention. En effet, ces quotas, définis en fonction de données pertinentes et à la suite d’un « avis de commerce non préjudiciable » définissent « une limite au nombre […] de spécimens […] pouvant être exportés d’un pays au cours d’une période de douze mois ».
Le système mis en place par la Cites s’est donc construit – et se développe – autour d’un cadre structuré au sein duquel la notion de durabilité figure comme un critère essentiel permettant de caractériser la légalité du commerce international d’espèces sauvages.
L’Union européenne a rapidement pris conscience de son rôle en tant que région source, de transit et de destination du commerce d’espèces sauvages, qu’il soit légal ou illégal. Notamment, la législation prévoit une annexe additionnelle, l’annexe D, propre aux exigences européennes en matière de préservation des espèces sauvages visées par le commerce. Par exemple, cette annexe mentionne certaines espèces, comme le phoque gris, dont les volumes d’importation justifient une surveillance selon l’Union européenne. De plus, le cadre normatif européen vient fixer des procédures d’obtention des permis plus strictes que celles prévues par le texte de la convention. Ainsi, à l’échelle européenne, un standard relativement exigeant en matière de promotion de la légalité du commerce d’espèces sauvages et de sa durabilité a été conçu.
La France figure parmi les États membres de l’Union européenne ayant définit les sanctions les plus strictes en matière de commerce illégal d’espèces sauvages. Depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, les peines peuvent ainsi atteindre 2 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amendes et jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque les violations ont été réalisées par des bandes organisées.
De surcroit, la France peut se targuer d’être un des rares États de l’Union européenne à avoir instauré une police spécialement dédiée à la lutte contre la criminalité environnementale, à savoir l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. À noter que l’Office français de la biodiversité (OFB) œuvre également en la matière en ce qu’il dispose d’une unité dédiée à l’application de la Cites.
La France se distingue à nouveau par une éducation spécifique des magistrats en matière de commerce d’espèces sauvages, comme l’illustre notamment le challenge Just Green élaboré par l’École nationale de la magistrature, afin que les sanctions prononcées reflètent la gravité des enjeux en cause.
Enfin, la proposition de loi n°5165 visant à modifier certaines règles relatives au transport aérien international pour limiter le trafic d’espèces sauvages portée devant l’Assemblée nationale en mars 2022 atteste de l’actualité des démarches menées sur le territoire en vue de lutter contre ce phénomène inquiétant.
Il importe de soulever qu’en dépit des cadres réglementaires en place, un nombre important de saisies continuent d’être enregistrées, de même que les cas de braconnages demeurent alarmants.
La portée des dispositions du cadre réglementaire en place est en effet compromise par certains éléments majeurs. D’une part, il existe des limites normatives propres aux textes, parmi lesquelles figurent notamment le défaut de caractérisation de notions phares, telles que les « sanctions dissuasives ».
D’autre part, le manque d’ambition de certains États en matière de lutte contre le commerce d’espèces sauvages apparait lui aussi comme un frein considérable à l’effectivité de l’application des dispositions légales.
Ainsi, afin de dépasser les lacunes réglementaires et de combattre efficacement le trafic illégal d’espèces sauvages, les efforts de l’ensemble des États doivent nécessairement être renforcés et coordonnés, dans une démarche constante d’amélioration.
Notamment, une large diffusion de l’expérience jurisprudentielle des États participerait à la promotion de la notion de dissuasion telle qu’elle doit être entendue au regard des enjeux encourant le commerce illégal d’espèces sauvages. L’objectif est de créer des repères pertinents pour le traitement efficace de futures affaires et que ce trafic cesse d’être très lucratif avec peu de risque.
Un engagement fort et concret des États en faveur de la promotion de la légalité du commerce international d’espèces sauvages et de l’utilisation durable de celles-ci est nécessaire pour enrayer le phénomène de trafic illégal et de freiner le rapide déclin de la biodiversité.
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1 Il n’y a pas de différence entre un État Partie et une Partie à la convention ici. La précision État Partie se justifie tout de même au regard du fait que seul les États peuvent être Parties à la Convention, à l’exception de l’UE, qui est une organisation régionale devenue récemment Partie à la Cites.
À l’occasion de la publication de deux rapports majeurs par l’Ipbes sur « l’évaluation des valeurs associées à la nature » et « l’utilisation durable des espèces sauvages » lors de sa neuvième session plénière en juillet 2022, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.
Meganne Natali, docteur en droit, élève avocat et Case Manager à la Clinique Doctorale de Droit international des droits de l’Homme d’Aix-en-Provence
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