fermer
retour en haut de la page
Publications
Accueil > Publications > L’émergence de la biodiversité à la télévision française de 1992 à 2009
juillet 2024  I  Synthèse  I  FRB  I  État et tendance

L’émergence de la biodiversité à la télévision française de 1992 à 2009

Auteur : Michel Dupuy, chercheur associé à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine

Relecture : Hélène Soubelet, directrice générale de la FRB, Robin Almansa, chargé de communication (FRB), Pauline Coulomb, responsable du Pôle Communication et valorisation scientifique (FRB)

Nombreux sont les scientifiques ou les politiques a estimé que la biodiversité est aujourd’hui bien ancrée dans les médias.  Toutefois, les enquêtes de terrain ont révélé que ce concept reste encore flou contrairement au phénomène du changement climatique. Michel Dupuy, chercheur associé à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, a conduit une enquête sur l’utilisation du terme biodiversité à la télévision française de son apparition jusqu’en 2009. Au terme de ce travail, il est apparu que ce concept manquait de notoriété et restait bien en-deçà d’autres préoccupations environnementales comme le changement climatique, dont les manifestations touchent davantage les françaises et les français.

 

L’émergence de la biodiversité à la télévision française de 1992 à 2009

Le mot biodiversité a été formulé pour la première fois en 1985 par le biologiste Walter G. Rosen lors du Forum national sur la biodiversité1. L’objectif de cet événement était de faire sortir le concept de diversité biologique de la communauté scientifique et de sensibiliser les économistes, les agronomes, les experts et les médias à la sauvegarde de la diversité biologique2. L’objet de cet article est de s’intéresser à son émergence à la télévision française jusqu’en 2009, soit deux ans après la tenue du Grenelle de l’environnement.

 

Un développement lent

A la veille de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio, connue sous le nom de Conférence de Rio, la biodiversité est absente des émissions télévisées consacrées à cet événement. Elles se focalisent sur le changement climatique, la déforestation et les rapports Nord/Sud. Son émergence coïncide avec le refus des Etats-Unis de signer la Convention sur la diversité biologique le 6 juin 1992 mais, dès la conférence achevée, le concept est vite oublié.

 

Il faudra attendre mars 1995 pour voir à la télévision française une première série d’émissions consacrée à la biodiversité avec le programme La preuve par cinq diffusé sur France 53, puis l’année 2004 pour voir le mot biodiversité s’élargir des magazines aux journaux télévisés (JT).

 

Cette progression est également marquée par un élargissement des locuteurs. Des scientifiques aux gestionnaires d’espace à partir de 1995, à savoir les directeurs de parcs naturels, les agents de l’ONF, etc. Entre 2004 et 2005, s’ajoutent les responsables des espaces verts en milieu urbain ainsi que les éleveurs confrontés au loup dans le Mercantour et à l’ours dans les Pyrénées. Enfin, en 2008, le concept de biodiversité déborde sur le champ politique, plus précisément dans les propos des ministres et des secrétaires d’état chargés de l’écologie, sans néanmoins être utilisé par le parti politique les Verts.

 

Figure 1 : Utilisation du mot de biodiversité et de l’expressions de “diversité biologique” à la télévision française

 

 

“Il y a ceux qui prononcent et ceux qui produisent”

 

A côté de ceux qui prononcent, il y a ceux qui produisent les reportages ou les émissions comme Allain Bougrain-Dubourg et son émission Animalia (1990-1992) ou Dominique Martin-Ferrari avec Gaïa (septembre 1996). Sensibilisés à la protection de la nature, ils sont souvent au fait du discours scientifique. L’audience s’élargit lorsque des personnalités comme Nicolas Hulot s’emparent de ce concept avec le programme Ushuaïa à partir de 1999 puis en 2006 avec Vu du ciel de Yann Arthus Bertrand.

 

La conquête des JT s’opère grâce à la constitution de journalistes de l’environnement dans les rédactions de TF1 en 1997 et de France 2 en 2001. Toutefois, il faut attendre 2005 pour qu’ils s’emparent réellement de la biodiversité dans leurs reportages.

 

Les organisations écologistes comme Greenpeace, le WWF et la LPO ont également communiqué sur la biodiversité, notamment lors de la publication de la liste rouge des espèces menacées devenue un marronnier de l’actualité depuis 2004. Toutefois, lorsqu’elles lancent certaines campagnes sous la forme de spots télévisés, le mot biodiversité est la plupart du temps absent, à l’image de la campagne menée par le WWF en août 2005 au sujet de la disparition des espèces, qui s’appuie sur des images d’un oiseau mazouté, d’un tigre, d’un rhinocéros pour s’achever sur des pandas4.

 

 

Biodiversité, un concept qui élargit le débat

 

Enfin, le développement des controverses liées à l’environnement participe également à la sensibilisation. Que ce soit pour l’ours, le loup ou la disparition des abeilles, elles ont fini par être posées en termes de biodiversité, c’est-à-dire, qu’elles ont dépassé le simple stade de l’espèce pour renvoyer au milieu. Ainsi, la disparition des abeilles constatée sur le terrain en 1994 apparaît à la télévision en 1998, année où les apiculteurs attribuent leur mortalité à un insecticide . En 2006, l’intégration du concept de biodiversité élargit le débat. Ce n’est plus seulement une espèce et une profession qui sont menacées, mais la nature. L’abeille devient ainsi un symbole de la biodiversité, une figure métonymique.

 

Zoom sur les reportages relatifs à la biodiversité

 

D’un point de vue général, la plupart des reportages relatifs à la biodiversité ont pour cadre le territoire national (42 %) avec une place accrue pour l’Outremer depuis 2004 (14 %). Pour l’hexagone, les milieux fortement anthropisés dominent, près de 40 % des sujets, que ce soit ceux qui relèvent de l’agriculture/élevage (23 %) ou des jardins/espaces verts (16 %). Ensuite viennent les espaces liés aux eaux douces, telles que les zones humides, les cours d’eau, ou les lacs (19 %), puis ceux relevant des forêts (18 %), etc. Concernant l’Outremer, la Nouvelle-Calédonie, la Guyane et la Réunion sont les trois espaces les plus cités. La Guyane est assimilée à la forêt amazonienne, La Réunion porte en elle la spécificité d’une flore propre à une île avec la problématique des invasives et enfin la Nouvelle-Calédonie, en particulier son milieu marin et ses coraux qui sont mis en avant.

 

Un concept en manque de notoriété

Le développement de la biodiversité à la télévision est marqué d’un glissement de définition. Au départ, selon Edward O. Wilson, sa définition inclut trois éléments : le gène, l’espèce et le milieu, mais en 2002, au moment où ce concept intègre davantage les journaux télévisés, il se cantonne uniquement à l’espèce. En 2009, le mot biodiversité doit être encore défini dans certaines émissions, signe de sa faible diffusion6.

 

Il souffre aussi d’un déficit d’image. Il ne peut être réduit à quelques symboles forts comme pour le changement climatique qui s’appuie sur la fonte de glaciers. Pour illustrer la diversité du vivant, les journalistes font des choix. Ainsi, entre 1978 et 2008, les caméras se focalisent d’abord sur les mammifères (33 %), les oiseaux (14 %) et les plantes comestibles (12 %).

 

Si les mammifères sont surreprésentés seules quelques espèces parapluies émergent comme l’éléphant, l’ours polaire et le tigre. Elles sont symboliques de milieux mais pas forcément de la biodiversité. Ainsi l’ours polaire fait référence au changement climatique ou l’orang-outang à la déforestation. La biodiversité peine à être incarnée par une seule espèce, sauf dans l’hexagone avec les abeilles qui tissent le lien entre le végétal, le domestique et l’économique.

 

En effet, la biodiversité est relayée au second plan des enjeux environnementaux, derrière le changement climatique et le développement durable (figure 2). Comment ancrer un concept lorsqu’il est finalement peu employé ? En 2007, sur 365 jours, il a été question de biodiversité au maximum trente-neuf fois sur France 2, tandis que le phénomène du changement climatique était abordé 395 fois. En comparant le traitement télévisuel de la biodiversité, du changement climatique et du développement durable, trois concepts qui émergent dans la seconde moitié des années 1980 à la télévision, nous constatons que, jusqu’en 1996, aucun ne parvient à émerger (figure 2). En 1997, avec la troisième conférence des parties à Kyoto, la thématique du changement climatique prend son essor avant de percer définitivement en 2000. La notion de développement durable perce en 2002 avec le Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg.

 

Figure 2 : Biodiversité, développement durable et changement climatique
à la télévision française

 

 

Qu’est-ce qui peut expliquer le succès du changement climatique par rapport à la biodiversité ? Pour les journalistes, le changement climatique affecte davantage notre quotidien (habitat, déplacements). Avec la biodiversité, ce quotidien n’apparaît qu’au travers de l’agriculture biologique, les Organismes génétiquement modifiés (OGM). Elle est alors associée à la lutte contre la « malbouffe ». En outre, les journalistes de l’environnement pour s’imposer dans les rédactions ont d’abord insisté sur le changement climatique, un thème davantage porteur que celui de la biodiversité associée aux petits oiseaux dans les rédactions. Le changement climatique a aussi bénéficié des excès climatiques avec les tempêtes de décembre 1999 et la canicule d’août 2003.

 

Toutefois, il ne faut pas opposer biodiversité et changement climatique. En effet depuis 2005, les effets du changement climatique se sont élargis aux espèces animales ou végétales à la télévision. Le 28 décembre 2006, le changement climatique est relié aux invasives. D’autres signaux d’un réchauffement climatique profitent indirectement à la biodiversité : le blanchiment du corail, la fonte des glaces en Arctique qui met en danger l’ours polaire, etc.

 

Ce traitement secondaire de la biodiversité par rapport au changement climatique a été confirmé lors du Grenelle de l’environnement lancé le 21 mai 2007 où le thème de la biodiversité est resté en filigrane à la télévision (figure 3). Dans les conclusions du Grenelle rendues les 24 et 25 octobre 2007, en dehors de la trame verte, rien ne figure dans les JT sur les mesures relatives à la préservation de la biodiversité comme la création d’aires marines protégées ou d’un observatoire national de la biodiversité7.

 

 

Figure 3 : Le Grenelle de l’environnement : fréquence et thématiques à la télévision française

 

Conclusion

En 2009, le mot biodiversité s’est répandu dans des sphères précises auprès des scientifiques, des gestionnaires et des journalistes de l’environnement. Même si la biodiversité pointe à travers quelques émissions phares telles que Ushuaïa nature ou Vu du Ciel, elle fait difficilement la une des JT. Le concept de biodiversité ayant une connotation positive, celle-ci est essentiellement relayée en fin de JT pour apaiser l’actualité et emmener le téléspectateur vers les programmes du soir. 

 

 

…Et maintenant ?

La FRB propose un stage pour poursuivre cette étude afin de comprendre les évolutions de l’usage du terme biodiversité de 2009 à aujourd’hui, en exploitant notamment les archives télévisuelles de l’Inathèque. + d’infos

Ressource

Consulter la publication

Offre de stage

La FRB propose un stage pour poursuivre cette étude afin de comprendre les évolutions de l’usage du terme biodiversité de 2009 à aujourd’hui, en exploitant notamment les archives télévisuelles de l’Inathèque. + d’infos