[#Ipbes11] Au cœur de la 11e plénière
Du 10 au 16 décembre 2024, à Windhoek en Namibie, a lieu la onzième session de la Plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes). L’équipe FRB vous raconte jour après jour les coulisses de cette événement.
Pendant cet événement, seront entre autres examinés :
- l’évaluation thématique des liens entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé (évaluation nexus),
- l’évaluation thématique des causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, des déterminants du changement transformateur et des options permettant de réaliser la Vision 2050 pour la biodiversité (évaluation changement transformateur),
- ainsi que le rapport de cadrage pour la deuxième évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques.
Retour sur les échanges jour après jour.
Par Hélène Soubelet, directrice générale de la FRB
Après plus d’une semaine de négociations, les résumés pour décideurs des évaluations sur le changement transformateur et sur le nexus « biodiversité, changement climatique, alimentation, eau et santé » ont été adoptés.
Contrairement à ce que nous pensions, c’est le résumé Nexus qui a généré le plus de débats entre les délégations réunies en Namibie, avec 35 heures de discussions contre une vingtaine d’heures prévues à l’origine.
Le résumé changement transformateur a quant à lui été approuvé après 33 heures de négociations.
Ces deux résumés ont fait l’objet de conférences de presse les 17 et 18 décembre pour leurs lancements officiels.
La plénière a aussi été l’occasion de rendre un hommage au Dr Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’Ipbes depuis son installation en 2012. Anne quittera la plate-forme au début de l’année 2025 pour une retraite bien méritée ! La collaboration entre l’Ipbes et la FRB a toujours été riche, agréable et constructive : nous le devons beaucoup à Anne que nous remercions sincèrement !
Les États membres ont aussi adopté le rapport de cadrage de la 2e évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques (la première est sortie en 2019) avec un focus spécifique sur les océans introduit à la demande de la France. Cette évaluation est attendue pour 2028 et constituera un produit précieux en soutien des futurs objectifs biodiversité post-2030.
Après plusieurs années de négociations et d’aller-retour, de blocage de certains États membres, de difficultés d’accorder les agendas des deux processus, le renforcement de la collaboration avec le Giec a également été adopté. Souhaitons que cette collaboration qui sera nécessairement fructueuse, en particulier à l’aune des conclusions du rapport Nexus (voir ci-après), puisse à présent être mise en place de façon concrète.
Cette onzième plénière de l’Ipbes a donc été plutôt positive, même si la politisation croissant des débats et la crispation sur des lignes rouges politiques a pu affaiblir les résumés pour décideurs.
Prenant acte de ce fait, qui est aussi observé au sein du Giec, la FRB décryptera les rapports complets (scientifiques) afin d’en extraire les messages importants pour la recherche et la société.
🔎 Zoom sur le rapport Nexus Le rapport Nexus a été produit en trois ans avec 165 expertes et experts et en faisant intervenir 6 500 références issues de connaissances autochtones et locales en plus de la littérature scientifique et de la littérature grise. Le résumé pour décideurs commence par explorer les tendances actuelles et les interactions entre les 5 éléments du nexus : biodiversité, alimentation, eau, santé et changement climatique. Les crises en biodiversité, eau, santé, alimentation et climat sont liées et participent aux effets de cascade. Les auteurs ont regardé la question des facteurs directs et indirects de pressions et leurs interactions. L’analyse a porté sur les options de réponses (solutions non prescriptives) déjà disponibles, réalisées et opérationnelles. L’objectif du rapport était de savoir comment arriver à des solutions permettant de décloisonner des approches fragmentées et inefficaces. Cette approche en silos amène à payer deux fois pour un résultat qui n’est pas bon. Les auteurs ont analysé 186 scénarios ayant évalué au moins trois éléments du nexus et les ont regroupés en 6 archétypes (1/ Restauration de la nature, 2/équilibre entre les éléments du nexus, 3/ conservation prioritaire, 4/ adaptation et atténuation climatiques prioritaires, 5/système alimentaire prioritaire, 6/surexploitation de la nature) ainsi que 71 options de réponses avec des co-bénéfices sur tout ou partie des éléments du nexus. Les scénarios donnent le cap et les options de réponses montrent comment il est possible d’y aller. La dernière partie s’intéresse aux approches de gouvernance qui permettent de mettre en œuvre ces actions de réponses. Il explore également le rôle de la finance et ses innovations pour la transformation. La conclusion majeure du rapport est que les options qui ne s’intéressent qu’à un seul élément du nexus pour l’optimiser, entraînent des compromis sur les autres éléments, ce qui diminue l’efficacité réelle de la réponse. L’entrée pour l’action publique ou la décision privée est optimisée lorsqu’elle appartient aux deux premiers archétypes : la restauration de la nature ou la prise en compte de tous les éléments du nexus dans la décision. Couplé avec le rapport changement transformateur, des options sans regret se dégagent :
Par Hélène Soubelet, directrice générale de la FRB
Vers un consensus mondial pour transformer l’économie, les visions, les valeurs et traiter de façon systémique la perte de biodiversité, le changement climatique, la dégradation de la santé humaine, la tension sur les ressources en eau et l’enjeu alimentaire.
Les principaux livrables de la plénière 2024 de l’Ipbes sont d’une part l’évaluation sur les interrelations entre la biodiversité, le climat, l’alimentation, l’eau et la santé (dite Nexus) et l’évaluation sur le changement transformateur, et d’autre part, le cadrage de la seconde évaluation mondiale et la collaboration avec le Giec.
Il y a une grande attente des pays sur les deux évaluations examinées cette année.
Le processus pour l’examen de ces évaluations est assez long, mais a toujours conduit à l’adoption des résumés pour décideurs. Les délégués ont à leur disposition les chapitres et les annexes de l’évaluation (documents scientifiques), ainsi que la proposition de résumés de ces chapitres par les auteurs (document politique).
Pendant les trois années d’élaboration de ces documents, les États parties et experts du monde entier ont été sollicités pour relire les chapitres, puis la proposition de résumé pour décideurs, mais les choses s’accélèrent pendant la plénière. Nous disposons des dernières versions des documents, ce qui permet de travailler à leur cohérence, aux messages principaux à faire ressortir pour les parties prenantes publiques et privées à qui ils sont destinés.
Pendant les plénières, les délégations sont invitées à étudier et valider par consensus les messages clés des résumés pour décideurs, issus des rapports, et les messages plus détaillés qui sont présenté dans la partie « contexte » (Background en anglais) du résumé. L’Ipbes est une plate-forme intergouvernementale scientifique et politique. Il s’agit donc ici de transcrire en langage politique le travail et les conclusions scientifiques présentés par les chercheurs et les experts des évaluations. Les États n’ont pas la possibilité de toucher aux chapitres ou à leur annexes (c’est-à-dire les documents scientifiques). Par ailleurs, leurs ajouts ou modifications dans les résumés pour décideurs doivent être scientifiquement validés.
Des oppositions entre les auteurs et les délégations sont rares, mais de plus en plus fréquentes en cas de tensions entre les enjeux économiques et les enjeux de diminution de l’empreinte écologique. Pour l’instant, au sein de l’Ipbes, des compromis ont toujours été trouvés et les auteurs ont souvent le dernier mot. Lorsqu’ils ne l’ont pas, la phrase contestée est supprimée du résumé pour décideurs, mais pas des chapitres où elle peut toujours être extraite.
🔎 Focus sur l’évaluation « changement transformateur » L’évaluation changement transformateur est fondatrice, c’est la première de son genre. En effet, depuis l’introduction en 2019 par l’évaluation mondiale de cette notion de « changement transformateur », les États avaient demandé en séance plénière que l’Ipbes leur fournisse plus d’éléments pour comprendre plus concrètement ce que cela recouvre. Autant de question auxquelles les 61 auteurs principaux, les 10 relecteurs et les quelques 200 contributeurs de 42 pays (dont 53 % femmes) ont tenté de répondre en analysant 7 000 références scientifiques, 400 cas d’études et 800 visions pendant les trois ans du projet. Les négociations de 2024 aboutiront, dans le résumé pour décideurs aux compromis politiques validés par les États pour présenter l’urgence du changement transformateur, les causes de l’inefficacité des actions actuelles et les solutions pour changer de paradigme. Ce document devrait poser le cadre du changement, tandis que l’évaluation Nexus devrait proposer des voies privilégiées pour mettre en œuvre le changement dans un objectif systémique développant des synergies entre cinq grands enjeux environnementaux, climat, agriculture, eau, santé et biodiversité.
Par Hélène Soubelet, directrice générale de la FRB
La 11e plénière de l’Ipbes s’est ouverte par une excellente performance d’une troupe d’artistes et performeurs de la communauté indigène. Entre musique, danses et chants, cette performance créée spécialement pour l’occasion a célébré l’engagement commun pour la biodiversité, mais aussi la première organisation d’une plénière Ipbes en Afrique.
Plusieurs interventions d’ouverture – par Antonio Abreu, représentant de l’Unesco ; Dr. Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’Ipbes ; Dr. David Obura, président de l’Ipbes ; Mme Astrid Schomaker, secrétaire exécutive de la CDB (la Convention sur la diversité biologique) ; et M. Pohamba Shifeta, ministre de l’environnement de la Namibie – ont souligné l’important travail sur les deux évaluations présentées lors de cette plénière : l’une sur les liens et interconnexions entre la biodiversité, la santé, l’alimentation, l’eau et le climat (dite « Nexus ») et l’autre sur les changements transformateurs.
- David Obura, président de l’Ipbes, a notamment insisté sur l’importance des deux rapports qui sont discutés cette semaine : Nexus et changement transformateur pour mettre en évidence les challenges et les solutions pour vivre en harmonie avec la nature.
- Anne Larigauderie a annoncé son départ en 2025, le processus de recrutement de sa ou son successeur est en cours.
- Astrid Schomaker a insisté sur le lien entre la science et les décisions politiques de la convention et a rappelé l’urgence de l’action.
- Pohamba Shifeta a présenté le rôle important de la Namibie en matière de protection de l’environnement. Son pays abrite en effet le premier parc national africain : Etosha qui couvre aujourd’hui près de 23 000 km2 dont seul le tiers est ouvert au public. Avec plus de 3 000 individus matures vivants, la Namibie est aussi le pays qui héberge la plus grande population de guépards (Cheetah conservation fund), ce qui lui vaut le nom de capitale mondial des guépards.
Délégation française à la 11e plénière de l’Ipbes. Photo par Coline Léandre
De nombreuses délégations ont également félicité l’Ipbes pour le prix Blue planet prize reçu en 2024 en reconnaissance de l’importance de ce travail pour la protection de la planète et de la qualité de vie des humains.
🔎 Zoom sur… Les prédateurs terrestres, les écosystèmes et les humains Les prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire jouent un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes, malheureusement la plupart de leurs populations sont en grand déclin (parfois de plus de 90 %) et leur aire de répartition (c’est-à-dire le territoire disponible pour eux) est également extrêmement réduit. Par exemple, selon la revue bibliographique effectuée par Fabiano et collaborateurs, le léopard (Panthera pardus) n’est plus présent que dans 37 % de son aire de répartition historique, le lion (Panthera leo) dans 25 % et le guépard (Acinonyx jubatus) dans moins de 10 %. Parmi ces prédateurs, le guépard est particulièrement vulnérable, avec la plus petite population mondiale parmi les grands carnivores, comprenant environ 6 500 individus matures dans son aire de répartition africaine et asiatique (Durant et al., 2017) et la plus grande réduction de son territoire. De telles pertes peuvent altérer les fonctions des écosystèmes. Ordiz, Bischof et Swenson (2013) ont résumé le rôle des carnivores dans les écosystèmes : ➙ ils régulent les populations de leurs proies numériquement et par des effets comportementaux non létaux comme le paysage de la peur (voir la synthèse sur les loups et celle sur les renards). ➙ le risque de prédation affecte la dynamique des populations et l’utilisation de l’habitat les proies en forçant les individus à investir dans un comportement anti-prédateur, au détriment de l’efficacité de la reproduction ou de la recherche de nourriture ➙ ils distribuent des carcasses et participent à l’hétérogénéité de la concentration des nutriments du sol, ce qui influence la biodiversité locale et favorisent des espèces dédiées qui seraient absentes sans eux. La perte des prédateurs peut aussi affecter les humains par la perte de revenus de l’écotourisme et la modification de la dynamique des maladies (voir par exemple la synthèse sur les renards). Quelques ressources biblio : – Durant, S.M., Mitchell, N., Groom, R., Pettorelli, N., Ipavec, A., Jacobson, A.P., Woodroffe, R. et al. (2017). The global decline of cheetah Acinonyx jubatus and what it means for conservation. Proc. Natl. Acad. Sci. 114, 528–533. – Fabiano, E. C., Sutherland, C., Fuller, A. K., Nghikembua, M., Eizirik, E., & Marker, L. (2020). Trends in cheetah Acinonyx jubatus density in north‐central Namibia. Population Ecology, 62(2), 233-243. – Ordiz, A., Bischof, R., & Swenson, J. E. (2013). Saving large carnivores, but losing the apex predator?. Biological Conservation, 168, 128-133.
La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) accueille le secrétariat scientifique du comité français pour l’Ipbes et est largement mobilisée pour le relai des travaux de l’Ipbes au niveau national.