fermer
retour en haut de la page
Actualités
Accueil > Actualités > [Groupe FRB-Cesab Acoucène] Interview de Michela Busana
janvier 2025  I  Actualité  I  Cesab  I  Biodiversité et services écosystémiques

[Groupe FRB-Cesab Acoucène] Interview de Michela Busana

Michela Busana est post-doctorante au sein du projet FRB-Cesab Acoucène. Ses intérêts de recherche s’articulent autour de l’exploitation de données pour soutenir des stratégies de conservation fondées sur des preuves, et ainsi favoriser une société durable. Dans le cadre d’une série de portraits au sein de la Fondation, Michela a souhaité nous parler de son travail actuel au sein du projet Acoucène, visant à évaluer les effets de la pollution sonore sur les populations d’oiseaux en milieu rural en France. Bonne lecture !

[Groupe FRB-Cesab Acoucène] Interview de Michela Busana © Frantisek Duris

Bonjour Michela. Tu as souhaité nous parler de la pollution sonore et de ses effets sur la biodiversité. Mais qu’entends-tu par “pollution sonore” et pourquoi est-il important de l’étudier ?

 

La pollution sonore désigne les bruits indésirables ou nuisibles générés par les activités humaines, telles que la circulation routière, aérienne, les chantiers ou encore les activités industrielles. Elle se caractérise généralement par des niveaux sonores dépassant 55 décibels. L’intensité du bruit est souvent liée à l’imperméabilisation des sols, et les effets de cette pollution peuvent s’étendre jusqu’à 2 km autour des axes routiers. Pour mieux comprendre l’ampleur de ce phénomène, il est possible de représenter spatialement la distribution de ces sources de bruit à travers des cartes détaillant les niveaux sonores à l’échelle nationale. En France, cette cartographie révèle qu’il ne reste que quelques zones véritablement silencieuses, principalement situées dans les massifs montagneux des Alpes et des Pyrénées. Selon l’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE), en Europe, ces nuisances sonores toucheraient environ 125 millions de personnes, soit un Européen sur quatre, et constituerait un problème majeur de santé publique !

 

Le bruit n’a pas seulement des conséquences sur les humains ; il perturbe également la faune. Chez de nombreuses espèces animales, le son est crucial pour la détection des prédateurs, la communication ou la localisation des proies. Cependant, le bruit anthropique – généré par les activités humaines – tend à masquer les sons naturels, perturbant ainsi les comportements des animaux. De plus, ces bruits indiquent souvent la présence d’une source perturbante, ce qui pousse les animaux à fuir ces zones bruyantes. Bien que les impacts du bruit sur la faune sauvage soient activement étudiés par la communauté scientifique, ils restent souvent négligés lors de l’élaboration des politiques environnementales.

 

 

 

Dans le projet Acoucène, vous travaillez sur les effets de la pollution sonore sur les oiseaux, mais pourquoi s’intéresser aux oiseaux ?

 

Dans le cadre du projet FRB-Cesab Acoucène, nous nous intéressons au chant des oiseaux, car il joue un rôle central dans leur vie : il sert à rechercher des partenaires, à défendre leur territoire et à assurer la garde parentale. Les oiseaux dépendants donc fortement des sons, ils sont particulièrement sensibles à la pollution sonore. Cette dernière provoque chez eux un stress accru, perturbe leur communication, réduit leur taux de reproduction et leur survie. Sur le cours de plusieurs générations, la sélection naturelle dans des habitats bruyants peut même induire des modifications génétiques et des réponses adaptatives.

 

C’est pourquoi, étant des indicateurs clés de la biodiversité et très vulnérables au bruit, l’étude des oiseaux est cruciale, notamment pour la création d’une carte des réseaux de communication animale. Cartographier la présence de “barrières sonores” dans les habitats permettrait d’identifier et de localiser les zones riches en biodiversité, où la diversité sonore naturelle est préservée et peu affectée par les bruits anthropiques. Cette carte servirait à repérer la fragmentation acoustique dans le paysage ainsi que des zones jugées comme problématiques, c’est-à-dire des lieux où des mesures locales pourraient être mises en place pour limiter les nuisances de la pollution sonore.

 

 

 

 

D’accord, je comprends déjà mieux l’intérêt d’étudier l’impact de la pollution sonore sur les oiseaux ! Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur les études que vous avez menées depuis le début du projet ?

 

Tout d’abord, nous avons analysé des enregistrements des chants en France de 117 espèces d’oiseaux sous différents aspects : la fréquence, la complexité, le rythme et la durée des chants. Ces caractéristiques acoustiques permettent de comprendre la diversité ainsi que la spécificité du chant de chaque espèce. Nous avons également intégré des données provenant de plusieurs sources d’observation citoyennes et scientifiques. Par exemple, le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) nous offre des données sur l’abondance des espèces tandis que des atlas ornithologiques fournissent des informations sur leur présence ou absence en France. Enfin, nous avons utilisé la plateforme Xeno-Canto, un site collaboratif de partage d’enregistrements sonores d’animaux sauvages. Cela nous a permis de travailler sur une base impressionnante de 24 936 enregistrements : de quoi extraire où et quand les oiseaux chantent le plus souvent !

 

 

Ces données nous ont aidés à répondre à deux grands objectifs :

 

  • Le premier était de comprendre comment les communautés acoustiques varient en fonction de l’occupation des sols et du climat. Les résultats sont fascinants : les communautés d’oiseaux montrent des différences significatives dans leurs caractéristiques acoustiques selon leur environnement. Par exemple, en milieu urbain, nous avons trouvé que les chants tendent à être plus complexes, mais aussi plus courts et avec des fréquences moins élevées. Cela pourrait s’expliquer par une propagation sonore limitée, rendant ces chants moins adaptés à ces milieux.

 

  • Le second objectif visait à explorer la tolérance des espèces au bruit anthropique. Il existe des variations temporelles intéressantes entre espèces : certaines espèces, comme le moucherolle pie, chantent principalement au crépuscule, tandis que d’autres, comme la mésange charbonnière, vocalisent tout au long de la journée. Nous avons montré que de nombreuses espèces chantent jusqu’à 60 % du temps durant les heures de pointe humaines, ce qui reflète un risque plus élevé d’être masqué par la pollution sonore. Pour mesurer ce risque de masquage acoustique, nous avons simulé des mélanges de chants naturels avec du bruit ambiant, et il est vite devenu évident que certaines espèces deviennent difficilement reconnaissables dans ces conditions.

 

 

Ces résultats nous donnent non seulement une meilleure compréhension des impacts du bruit sur les oiseaux, mais aussi des pistes pour mieux protéger ces espèces face à un environnement de plus en plus bruyant en raison de l’expansion future des zones urbaines et de l’augmentation de la population humaine.

 

 

 

Comment ces résultats peuvent-ils être utilisés sur le terrain, par les acteurs dans les territoires ?

 

Nous avons réalisé une carte préliminaire montrant la vulnérabilité des oiseaux à la pollution sonore en France, en se basant sur le risque de masquage et le niveau de pollution sonore actuels. Cette carte permet d’identifier les zones présentant des vulnérabilités élevées au bruit, ainsi que les zones qui pourraient bénéficier de mesures de réduction.

Carte des risques posés par la pollution sonore sur le chant des oiseaux (cellules de 10 km2).

Les pixels en violet indiquent des zones avec un bruit élevé et un risque élevé pour les oiseaux, les pixels en bleu indiquent des zones avec un niveau de bruit faible à moyen mais une vulnérabilité élevée pour les oiseaux, les pixels en vert indiquent des zones avec un bruit élevé mais un risque faible pour les oiseaux, et les pixels en jaune indiquent des zones avec un niveau de bruit faible à moyen et un risque faible pour les oiseaux.

 

 

 

Tu parles de mesures de réduction du bruit, comment aller plus loin ?

 

Pour aller plus loin, il faudrait mener des enquêtes à plus petite échelle dans les zones identifiées comme particulièrement vulnérables. Ces études ciblées permettraient d’identifier et de localiser précisément les points noirs de bruits afin d’adopter des mesures efficaces pour en atténuer les effets.

 

 

Deux approches principales s’offriraient alors :

 

  • La première consisterait à réduire directement les sources de bruit dans ces environnements sensibles comme abaisser les limites de vitesse, installer des barrières acoustiques ou encore planter des arbres qui joueraient le rôle d’écrans naturels contre les nuisances sonores.

 

  • La seconde approche viserait à protéger et améliorer la continuité des habitats exempts de bruit pour permettre aux populations animales de mieux se déplacer et de s’adapter. En facilitant les connexions entre différents espaces naturels, on pourrait non seulement atténuer les effets négatifs du bruit sur certaines espèces, mais aussi renforcer leur résilience face à d’autres pressions environnementales.

 

 

Ces actions, qu’il s’agisse de réduire le bruit à la source ou de rendre les habitats plus accessibles, constitueraient des solutions concrètes et applicables pour mieux protéger les communautés sauvages dans des environnements de plus en plus bruyants.

 

 

 

Plus d’informations sur le groupe : 

 

 

En apprendre plus sur les impacts évolutifs des activités anthropiques :

Autres interviews

Line le Gall sur le projet ATLASea visant à créer un atlas en libre-service de génomes marins 

Juliette Young sur le rapport IUCN sur les conflits et la coexistence entre humains et faune sauvage

Sabrina Gaba sur la Zone Atelier, traitant des enjeux d’alimentation, d’agriculture et de santé face à l’usage intensif de pesticides