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février 2018  I  Synthèse  I  FRB  I  Biodiversité et climat

La maison est en feu

Référence : Legagneux P, Casajus N, Cazelles K, Chevallier C, Chevrinais M, Guéry L, Jacquet C, Jaffré M, Naud M-J, Noisette F, Ropars P, Vissault S, Archambault P, Bêty J, Berteaux D and Gravel D (2018) Our House Is Burning: Discrepancy in Climate Change vs. Biodiversity Coverage in the Media as Compared to Scientific Literature. Front. Ecol. Evol. 5:175. doi: 10.3389/fevo.2017.00175

Synthèse par Jean-François Silvain (directeur de recherche à l’IRD)

Relecture par Agnès Hallosserie (secrétaire scientifique aux interfaces internationales – Ipbes)

Les enjeux de biodiversité sont-ils moins bien couverts par les médias que ceux relatifs au changement climatique ? C’est la question que s’est posée une équipe de chercheurs canadiens au vu de l’apparente domination de la question du changement climatique chez les décideurs et le grand public.

La maison est en feu

L’équipe a examiné attentivement la littérature scientifique, le financement de la recherche et les articles de presse des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni sur les changements climatiques et la biodiversité entre 1991 et 2016. Elle a constaté que la couverture médiatique du changement climatique est jusqu’à huit fois plus élevée que celle consacrée à la biodiversité, un écart que les différences entre les publications scientifiques sur l’un ou l’autre thème ne peuvent expliquer. Les chercheurs ont noté que la couverture médiatique sur le changement climatique est souvent liée à des événements spécifiques, du type plénière du Giec ou événement climatique exceptionnel, lien que l’on ne retrouve pas pour la couverture médiatique sur la biodiversité.

 

Les auteurs ont quantifié avec précision leurs observations et en ont dégagé des pistes d’action pour que les chercheurs et leurs services en charge de la communication puissent mieux communiquer les points saillants de leurs travaux au grand public et aux politiques.

 

Plusieurs de leurs constats sont à souligner
  • Le nombre de publications scientifiques mondiales dans des revues à comité de lecture de 1991 à 2016 a augmenté de manière similaire pour les revues traitant du changement climatique et de la biodiversité. Mais, en 2006, un point de rupture s’est produit. Et le taux de publications sur le changement climatique a augmenté bien plus rapidement que la production scientifique sur la biodiversité. Les auteurs constatent des tendances similaires dans le financement de la recherche sur le changement climatique et sur la biodiversité dans les trois pays, indépendamment des différences dans le montant net des financements disponibles dans chaque pays.

 

  • Alors qu’on observe une corrélation entre financement de la recherche et production scientifique pour les deux sujets, la corrélation entre financement de la recherche ou production scientifique et couverture médiatique ne s’observe que pour le changement climatique. Globalement, la couverture médiatique du changement climatique était 3,3 fois plus importante que celle de la biodiversité. En 2016, elle a été 8 fois plus importante. Cette différence a commencé en 2000 et l’écart n’a cessé de se creuser depuis 2003.

 

  • 66 événements portant a priori sur le changement climatique ou sur la biodiversité ont été identifiés les mêmes mois que les pics de couverture médiatique sur l’un ou l’autre sujet. 14 des 17 pics identifiés pour le changement climatique ont pu être mis en correspondance avec un des événements, contre seulement 5 pics sur 15 pour la biodiversité.

 

Comment expliquer ce déficit de communication sur la biodiversité ?

L’analyse comparative des auteurs révèle que la science, les défis et les problèmes associés à la biodiversité sont moins susceptibles d’atteindre le public.

La couverture médiatique du changement climatique a augmenté depuis 2002. Les événements majeurs tels que les conférences des Nations unies sur le climat sont repris par les médias, ce qui contraste avec les événements majeurs liés à la biodiversité qui ne ressortent pas de l’analyse, à l’exception du Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002 qui a entraîné une couverture médiatique du changement climatique et de la biodiversité.

 

Les auteurs formulent les hypothèses suivantes pour expliquer ce phénomène :

  • Il pourrait y avoir un effet temporel dans la couverture médiatique relative aux deux questions : le Giec a été créé plus de 20 ans avant l’IPBES. L’attention portée au changement climatique dans les médias n’a augmenté que 10 à 15 ans après la création du Giec, suggérant que l’intérêt des médias pour la biodiversité pourrait augmenter dans les années à venir.

 

  • Le manque de plate-forme structurée entre scientifiques et décideurs dans le domaine de la biodiversité jusqu’en 2012 aurait pu entraver l’intérêt du public et des médias. Cependant, la sensibilisation politique et publique sur les atteintes à la biodiversité (cf. l’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, la première évaluation mondiale de l’état de la biodiversité et des services écosystémique qui a été publiée en 2005) s’est produite plus tôt que pour le changement climatique, ce dernier étant un problème environnemental relativement récent.

 

  • L’affrontement entre ceux qui cherchaient à convaincre le public que les activités humaines peuvent avoir un impact sur le climat mondial et les climato-sceptiques a provoqué un tumulte médiatique, mais a également créé une confusion chez le public. 

 

  • Il y a un lien entre les prévisions météorologiques et la compréhension du changement climatique par le public. Les événements catastrophiques tels que les vagues de chaleur ou les ouragans peuvent faire croître l’inquiétude du public sur les changements climatiques, alors que les étés plus frais ont l’effet inverse.

 

  • La longévité du succès médiatique du changement climatique pourrait être expliqué en partie par ses similitudes avec les systèmes de croyances. Comme dans certaines religions, les effets des changements climatiques ont une dimension apocalyptique qui fait écho à l’anxiété existentielle de l’Homme. Le fait que la presse de prestige présente le scepticisme climatique comme une opposition valide au consensus scientifique et reflète l’un et l’autre de manière égale contribue également à ce succès.

 

  • Il se peut que les médias ne couvrent pas aussi bien la biodiversité que les changements climatiques en raison de leurs effets perçus à l’échelle locale. Les effets des changements climatiques sont structurellement globaux et largement dus aux émissions de gaz à effet de serre, alors que la plupart des mécanismes impliqués dans l’altération de la biodiversité sont locaux et ne deviennent un problème global que par agrégation, à travers par exemple les chaînes de valeur où la consommation d’un bien dans un pays affecte la biodiversité d’un autre. De plus, les effets du changement climatique sont ressentis directement par le public et peuvent facilement se traduire en termes économiques qui conduisent les décideurs à agir.

 

  • Les tentatives de réduction du réchauffement climatique peuvent facilement être résumées comme “toute action visant à limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°C”, alors qu’il n’existe pas de référence claire à atteindre qui puisse facilement être traduite en politique pour la biodiversité.

 

  • La menace majeure pour les services écosystémiques causée par la perte de biodiversité n’est pas perçue. Par exemple, les communications récentes sur la pollinisation (cf. rapport IPBES, 2016) n’ont pas créé d’impulsion particulière dans les médias analysés par les auteurs. Ces derniers notent toutefois que leur étude a été limitée à la grande presse et n’a pas pris en compte les nouveaux médias qui ont relayé plus intensément le rapport de l’IPBES.

 

  • D’un point de vue global, moins de ressources sont consacrées à l’IPBES qu’au Giec. Malgré son fort engagement en faveur des évaluations, l’IPBES n’a développé des mécanismes pour établir des partenariats stratégiques que très récemment, ce qui devrait améliorer la couverture médiatique que la biodiversité reçoit.

 

  • Les réponses politiques pour atténuer l’impact des changements climatiques impliquent les principaux secteurs économiques (cf. Giec 2014), tandis que les enjeux biodiversité sont – à tort – perçus comme plus spécialisés et moins accessibles que ceux du changement climatique.

 

Quelles que soient les raisons qui sous-tendent ce manque de communication sur la biodiversité, la science ne va pas aider à résoudre l’un des problèmes les plus pressants de notre planète si elle ne peut pas atteindre le public et les décideurs.

 

Que peuvent faire les chercheurs qui travaillent sur la biodiversité ?

Une série d’options est proposée :

  • Les scientifiques travaillant sur la biodiversité devraient tenter de sensibiliser le public et les médias en se concentrant sur deux idées principales :
    • Transmettre des informations précises et bien structurées sur la biodiversité,
    • Rendre compte des problèmes mondiaux de la biodiversité (interconnections, fonctions des écosystèmes) et insister sur sa valeur pour le bien-être humain (via la notion par exemple de services écosystémiques).

 

  • Les scientifiques travaillant sur la biodiversité devraient veiller tout particulièrement à promouvoir l’intérêt des médias pour leurs recherches. Par exemple, ils pourraient créer plus d’événements médiatiques autour de leurs découvertes, qu’elles soient majeures ou mineures.

 

  • Les questions de biodiversité bénéficieraient largement de l’engagement d’une personnalité publique qui en embrasse la cause, comme Al Gore l’a fait pour le changement climatique.

 

  • En raison du succès du changement climatique dans les médias et de ses retours positifs en matière de financement de la recherche et de production scientifique, certains auteurs suggèrent que la recherche sur la biodiversité soit intégrée dans le cadre du changement climatique autant que possible. Cependant, le changement climatique n’est pas la première cause d’érosion de la biodiversité et la recherche sur la biodiversité attire par ailleurs un financement comparable à celui sur le changement climatique. Cela remettrait en question la stratégie de communication que les chercheurs sur la biodiversité doivent adopter.

 

  • Une plate-forme commune dédiée au transfert de connaissances, aussi bien sur les enjeux liés aux changements climatiques que sur ceux liés à la biodiversité, pourrait améliorer efficacement la sensibilisation aux questions de biodiversité au niveau international. La pertinence d’une plate-forme intergouvernementale sur le changement global (IPGC) pourrait être envisagée, ne serait-ce que pour développer une meilleure stratégie de communication, plus intégrée, sur les questions environnementales.

 

  • Les communications sur les défis liés à la biodiversité pourraient reprendre les outils développés pour les communications sur le changement climatique :
    • Utiliser des métaphores pour la perte de biodiversité telles que “la bibliothèque de la vie en flammes”.
    • Utiliser des icônes (p. ex : l’ours polaire) pour amener le public à considérer le problème à travers des valeurs et des expériences personnelles.
    • Favoriser le dialogue et les échanges de réflexion entre experts et non-experts, plutôt qu’une communication unilatérale et descendante (des experts vers les non-experts).
    • Bien que cela puisse être critiqué, utiliser des slogans tels que “un million d’espèces en danger” pour toucher le public.
    • Parce que l’extinction des espèces suscite des émotions plus intenses que les conséquences du réchauffement climatique, les stratégies de communication sur la biodiversité devraient plus tenir compte de la composante émotionnelle et de l’engagement personnel du public.
    • Les projets de science citoyenne sur la biodiversité sont particulièrement populaires. Ils sont utiles non seulement pour combler les lacunes dans les données sur la biodiversité, mais aussi pour sensibiliser le public à la valeur de la nature et à ses bienfaits lorsque l’on s’y reconnecte.

 

Les auteurs concluent en écrivant que la prise en compte de la recherche scientifique dans nos sociétés est essentielle pour mieux faire le lien les chercheurs et les décideurs. Les problèmes environnementaux et leurs solutions doivent être fondés à la fois sur les connaissances scientifiques et sur l’acceptation sociale.