L’huître creuse du Pacifique : de l’assiette à la recherche contre le cancer
Si vous pensiez que l’huître menait une vie dépourvue d’intérêt, détrompez-vous ! Cet animal marin s’avère en réalité capable de véritables prouesses. Fixée sur un rocher, l’huître est capable de vivre aussi bien sous l’eau qu’à l’air libre, en fonction des heures de la journée et des marées. La difficulté de l’exercice est d’autant plus grande que le passage d’un milieu de vie à l’autre s’accompagne d’importants changements de température, de salinité, de pression, de pH, … en réalité, l’huître est un véritable modèle d’adaptation !
Malgré leurs capacités remarquables, les ostréiculteurs français font face, depuis le début du 20e siècle, à d’importantes vagues de mortalité chez les huîtres. Le responsable ? Un virus (ostreid herpes virus 1 OsHV-1) particulièrement virulent évoluant dans l’eau de mer. Pour pallier à ce problème, il a été décidé d’importer dans les années 1970 des huîtres creuses du Pacifique (Crassostrea gigas) : une espèce particulièrement robuste vivant dans l’estran, la zone du littoral agitée par les marées.
Si cette nouvelle espèce s’est révélée plus résistante au virus sous l’eau, la mortalité dans les élevages ostréicoles est restée élevée… alors que faire ?
Un poste est ouvert à l’Ifremer, dans les années 2000, pour mener des recherches et tenter de mieux comprendre à la fois le fonctionnement du virus et les stratégies de défenses mises en place par l’huître. C’est ainsi que la scientifique Charlotte Corporeau, après une thèse en embryologie humaine et 8 années de recherche en biologie médicale, a commencé à s’intéresser à Crassostrea gigas. Rapidement, elle découvre que l’animal survit dans ce milieu difficile notamment en activant et désactivant un mécanisme alternatif de croissance cellulaire qui permet au mollusque de poursuivre son développement aussi bien à marée haute qu’à marée basse. La découverte est double puisque ce même mécanisme est détourné par le virus meurtrier pour son propre développement !
L’”effet Warburg”, c’est ainsi qu’il se nomme, se met en place dans les cellules en situation de stress et leur permet de continuer à se multiplier lorsque les conditions du milieu ne sont plus favorables. Elles n’utilisent alors plus uniquement la respiration pour se diviser, mais également la fermentation, qui nécessite beaucoup plus de glucose, mais moins d’oxygène. Cet effet est par ailleurs bien connu en médecine humaine, puisqu’il s’avère être l’une des huit caractéristiques des cellules cancéreuses. À la différence de l’huître, l’Homme est incapable de désactiver le processus, ce qui entraine la prolifération des cellules “défectueuses”.
Ainsi, l’huître creuse du Pacifique, importée pour la consommation, est aujourd’hui devenue une piste de recherche dans le traitement du cancer ! Comprendre comment l’animal active et désactive l’effet Warburg et quels rôles jouent les facteurs physiques comme la température sont les deux questions auxquelles va désormais tenter de répondre Charlotte Corporeau, grâce au soutien de l’Ifremer et la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.
Charlotte Corporeau,
Ifremer-CNRS-UBO-IRD