Les services rendus par les écosystèmes forestiers : une évaluation dans le cadre du programme EFESE
Auteur : Nicolas Baylé, chargé de mission scientifique en appui aux politiques publiques à la FRB
Relecteurs : Julie Dorioz (GIP Ecofor), Jean-Luc Peyron (GIP Ecofor), Hélène Soubelet (FRB), Julie de Bouville (FRB), Marilda Dhaskali (FRB)
Comment se portent les forêts françaises ? Si depuis le milieu du 19e siècle les surfaces forestières ont régulièrement augmenté, leur état varie fortement sur l’ensemble du territoire. De nombreuses espèces de plantes, mammifères et oiseaux peuplant ces écosystèmes sont menacées. Néanmoins, le rapport de l’EFESE pointe des modes de gestion adaptés qui permettraient de préserver cette biodiversité et de garantir le large panel de services et de biens rendus par ces écosystèmes.
La surface couverte par les forêts métropolitaines a été multipliée par deux en deux siècles et continue de progresser sur le territoire, à l’exception des zones périurbaines où des défrichements peuvent avoir lieu. Les causes sont à la fois historiques et environnementales : jusqu’au début du 19e siècle, la forêt métropolitaine est surexploitée pour répondre aux besoins croissants en terres cultivables et en bois pour le chauffage d’une société pré-industrielle à dominante rurale. La promulgation d’un code forestier en 1827, la progressive déprise agricole qui court tout au long du 20e siècle et le développement des énergies fossiles venant se substituer au bois vont permettre aux forêts de regagner du terrain.
Malgré cette progression en surface, les forêts restent exposées à des pressions susceptibles d’altérer leur état et leur fonctionnement, comme le changement climatique ou la pollution atmosphérique liée à la circulation automobile et l’industrie. Ainsi, depuis le début des années 2000, la mortalité et la perte en feuillage des arbres (appelée déficit foliaire, un indicateur utilisé pour mesurer l’état de santé des forêts) sont en progression, en lien avec les tempêtes et sécheresses importantes qui ont marqué ces deux dernières décennies.
L’état de la biodiversité des forêts métropolitaines est quant à lui contrasté, selon les territoires, les pratiques de gestion et les « compartiments » de la biodiversité considérés. En moyenne, on constate l’amélioration ou le maintien de certaines caractéristiques reconnues comme importantes, comme la présence de bois mort ou de très gros arbres vivants (deux habitats indispensables à l’existence de certaines espèces forestières). D’autre part, après une phase d’érosion à la fin des années 1980, l’abondance des oiseaux communs forestiers s’est stabilisée. D’autres suivis de biodiversité appellent à la vigilance : un quart des habitats forestiers, en particulier des habitats liés aux milieux aquatiques (tourbières, forêts alluviales, etc.), sont considérés dans un mauvais état de conservation1 . Les listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) considèrent plus de la moitié des plantes forestières évaluées comme menacées, ainsi que 7% des mammifères et 17% des oiseaux également inféodés aux forêts métropolitaines2.
Ces dégradations de l’état des arbres (perte de feuilles, mortalité) et de certains pans de la biodiversité peuvent affecter les services écosystémiques dont bénéficient les propriétaires forestiers et la société.
L’ensemble du système forestier et son fonctionnement permettent la fourniture de services écosystémiques3 , via la formation des sols, la décomposition des débris végétaux et animaux, la photosynthèse, la croissance des arbres, les échanges racinaires de nutriments entre les arbres et les champignons, l’évapotranspiration, la mortalité, la régénération, etc.
La richesse de la biodiversité à tous les niveaux d’organisation du vivant (gènes, espèces, écosystèmes, etc.) est souvent associée à un fonctionnement plus intense de l’écosystème et à une plus grande résilience4 face aux perturbations5 . Cela peut avoir des conséquences positives sur la fourniture des services écosystémiques : à titre d’exemple, une étude a ainsi constaté qu’une diminution de la biodiversité occasionnait une perte de productivité de l’écosystème, et donc un stockage de carbone ralenti6. Ce fonctionnement écosystémique dépend aussi du type de forêt, de la densité et de l’âge des arbres, du mode de régénération, etc. eux même étroitement liés au mode de gestion.
La façon dont la forêt s’insère dans la mosaïque paysagère et les échanges avec les autres milieux, notamment au niveau des lisières, rives ou littoraux (« interfaces »), jouent également un rôle important. Ainsi, la mise en œuvre des politiques de continuité écologique augmente la connectivité des massifs forestiers, facilitant le déplacement des espèces comme les grands ongulés sauvages qui jouent un rôle controversé mais extrêmement fort sur la régénération naturelle des forêts et leur diversité végétale7 .
Les niveaux de services écosystémiques dépendent en grande partie de l’état de la forêt, en lien étroit avec leur mode de gestion. En France métropolitaine, la quasi-totalité des forêts ont été façonnées par la sylviculture, ce qui a constitué la clé d’entrée pour distinguer différents types de forêts. Les deux types les plus représentés sont des forêts avec une forte couverture par les arbres (forêts dites fermées) : la « futaie semi-naturelle » pour 63% des surfaces (issue de régénération naturelle) et la plantation pour 13% (issue de régénération artificielle par semis ou plants).
Selon l’étude, la « futaie semi-naturelle » permet d’obtenir le meilleur compromis d’équilibre entre les services écosystémiques considérés, et notamment entre la production de bois et de produits non ligneux (gibiers, cueillettes) et les services de régulation (de l’eau, des sols, du climat). Ce type de forêt permet également, en l’absence de coupes rases de grande envergure, le maintien d’un paysage de qualité, indispensable à l’attractivité récréative et socio-culturelle de la forêt.
L’étude8 a pu faire l’évaluation économique de sept services, au moins partiellement. Les services de régulation sont difficiles à évaluer : les études existantes, réalisées à des échelles locales, ne peuvent pas être extrapolées à l’ensemble des forêts métropolitaines. La régulation du climat global fait exception : le rôle de la forêt et de la filière bois dans la lutte contre le réchauffement climatique est quant à lui bien documenté. L’étude montre en effet une contribution significative de la filière forêt-bois au bilan carbone national, correspondant à un « puits net » de carbone estimé à environ 130 millions de tonnes de CO2eq par an, soit près du quart des émissions annuelles françaises. Ce « puits net » résulte principalement de l’accroissement du stock de carbone au sein des écosystèmes forestiers (séquestration). Il inclut aussi des émissions évitées par l’utilisation du bois au lieu d’énergies et matériaux concurrents (effets de substitutions). Il prend enfin en compte la séquestration nette de carbone au sein des produits en bois, cependant négligeable actuellement.
Le service de protection face aux aléas naturels a fait l’objet de nombreuses études de cas9 : les valeurs qui en sont issues sont extrêmement variables selon le site considéré, l’importance des enjeux humains associés et la méthode d’évaluation économique utilisée (qui prennent en compte ou non le coût de la vie humaine par exemple). Elles sont donc difficilement comparables et peuvent aller de quelques dizaines d’euros par hectare et par an à plusieurs milliers d’euros.
La régulation de la qualité de l’eau a été évaluée dans le département des Vosges en estimant les coûts de traitements évités : ils correspondent à 99 et 138 euros par hectare et par an en fonction de l’antécédent du terrain (agricole ou naturel)10.
Le bois est le principal bien marchand issu des forêts métropolitaines : la valeur de la récolte est suivie11 et estimée à 2,9 milliards d’euros pour l’année 2014, dont environ un milliard d’euros correspond à une autoconsommation de bois de feu12 . La récolte est assez stable depuis les années 1980 mais les usages évoluent avec notamment une progression du bois-énergie commercialisé et une baisse des bois d’œuvre et d’industrie, ainsi que du bois de feu autoconsommé. Les prélèvements de bois restent, en moyenne nationale, inférieurs à l’accroissement biologique des arbres. La ressource continue donc de croître mais à des taux de croissance très différents suivant les territoires et présentant un accès à cette dernière plus ou moins aisée. Ce constat a orienté la politique forestière française et son Programme national de la forêt et du bois (Ministère en charge de l’agriculture et des forêts, 2017) vers une augmentation progressive des prélèvements de bois.
Il n’existe pas de recensement systématique des produits forestiers autres que le bois au niveau national. La valeur du petit et grand gibier forestier (principalement autoconsommés) a été évaluée en considérant le prix de viandes équivalentes sur le marché : pour la saison 2013-2014, elle s’élève à environ 320 millions d’euros (BIPE, 2016). De multiples autres produits sont fournis par les forêts : champignons, châtaignes, miel, plants forestiers et graines, liège, plantes aromatiques, objets décoratifs, fourrage, etc. Une partie d’entre eux est commercialisée et représente un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros. En outre, au moins 77 espèces de plantes sont exploitées en France métropolitaine par les industries pharmaceutiques et cosmétiques (parfumerie, huiles essentielles) sans qu’aucune donnée ne permette de les quantifier.
Le service de récréation dépend de la fréquentation de la forêt par le public pour la réalisation d’activités diverses (promenade, chasse, cueillette, randonnée, etc.). Il diffère d’un territoire à l’autre selon les caractéristiques de la forêt (ambiance plus ou moins « naturelle », taille des arbres, degré de fermeture de la forêt par le couvert des arbres, etc.) et des éventuels équipements (qui sont généralement appréciés, dans la mesure où ils restent discrets). Il a été évalué selon la méthode des coûts de transport qui permet de traduire l’intensité de la demande13 . Les ménages français se rendent en voiture en forêt en moyenne chacun neuf fois par an, parcourent une distance moyenne aller-retour de 38,4 kilomètres et dépensent ainsi, par l’utilisation de leur véhicule, 2,4 milliards d’euros 2016 (après mise à jour). La valeur qu’ils affectent effectivement à leurs visites est évidemment inférieure à leur consentement maximal à payer pour se rendre en forêt. Elle peut être estimée à un total de 10 milliards d’euros en 2016.
Enfin, plusieurs composantes clés, sur lesquelles les opérateurs peuvent agir pour améliorer la fourniture de bouquets de services, ont été identifiées par l’étude :
- éviter la fragmentation des massifs (qui est cependant limitée et compensée par l’extension et l’agrégation de massifs) ;
- prévenir et limiter les dégâts que peut engendrer le dérèglement climatique, par exemple par la migration assistée des essences ;
- limiter les perturbations liées au prélèvement de bois en évitant les coupes rases mais en visant à prélever à terme l’accroissement net des arbres ;
- favoriser la résilience des forêts en les diversifiant (essences, âge des arbres, etc.).
Pour accéder au rapport complet : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/EFESE
Encadré sur les services écosystémiques et dimensions patrimoniales instruits dans cette étude :
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