[Biodiversité, une coordination européenne et internationale] (Re)découvrez l’Ipbes
Cop16 de la CDB, plénière de l’Ipbes, Unoc 2025 : ces prochains mois, les rendez-vous internationaux pour la biodiversité se succèdent. Qui fait quoi ? Quelle place pour la recherche et les parties prenantes dans les processus internationaux ? Qui peut participer à quoi, à quel moment ? Quels événements à venir ? Pas toujours simple de s’y retrouver… Largement impliquée dans ces réseaux, mêlant enjeux scientifiques, politiques et sociétaux, la FRB vous propose 3 rendez-vous pour y voir plus clair.
À quelques jours de sa 11e plénière et de la sortie de 2 nouveaux rapports : l’Ipbes !
En un coup d’œil
- L’Ipbes (ou IPBES), pour “plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques”, est un organe intergouvernemental, créé en 2012 sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement, de celui pour le développement, de l’Unesco et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
- Elle fournit aux décideurs politiques des rapports scientifiques objectifs faisant un état des connaissances (académiques et non académiques, intégrant les savoirs locaux et autochtones) sur la biodiversité, les écosystèmes et leurs bénéfices pour les individus ; ainsi que des outils et méthodes pour protéger et utiliser de manière durable ces ressources naturelles vitales.
- Une évaluation Ipbes se compose d’un rapport scientifique complet et d’un résumé pour décideurs. Du rapport scientifique, de ses chapitres, sont extraits des messages-clés par les scientifiques, discutés et négociés ensuite par les États jusqu’à adoption en plénière d’un texte, le résumé pour décideurs.
- L’Ipbes est à la CDB (Convention pour la diversité biologique) ce que le Giec (IPCC en anglais) est à la CCNUCC (Convention climat). Elles se ressemblent ainsi sur bien des points, parmi lesquels :
→ la réalisation d’évaluations de l’état des connaissances existantes qui alimentent les processus politiques internationaux, desquels découlent les stratégies régionales, nationales et territoriales ;
→ la mobilisation d’outils tels que l’établissement de scénarios futurs ;
→ leur statut d’instance intergouvernementale rattachée à l’ONU, et l’intervention des États pour approuver les synthèses et résumés pour décideurs, basés sur les évaluations scientifiques.
Des différences notables existent toutefois entre les deux instances :
Côté Giec :
⮕ Il opère selon un cycle de travail de 5 à 7 ans aboutissant à la sortie de 3 rapports élaborés chacun par un groupe de travail dédié : le groupe 1 porte sur les bases scientifiques, le groupe 2 sur les risques et l’adaptation et le groupe 3 sur l’atténuation. En 2023, le Giec a entamé son septième cycle de travail.
⮕ En plus de ces rapports, le Giec peut décider de préparer des rapports thématiques, comme celui sur les océans et la cryosphère (publié en 2019) dans le cycle 6, ou celui sur les villes à sortir pendant le cycle actuel.
⮕ Lors de la phase de rédaction des rapports, seules les connaissances académiques sont intégrées, les connaissances non académiques pouvant l’être lors des phases de relecture.
Côté Ipbes :
⮕ Le programme de travail de l’Ipbes n’est pas cyclique mais discuté et mis à jour lors des plénières annuelles.
⮕ Chaque année, un ou plusieurs rapports est publié sur un thème, une région ou une méthodologie, pouvant mettre à jour des informations précédemment publiées en lien avec la thématique traitée. Le dernier rapport, validé en 2023, portait sur les espèces exotiques envahissantes. Les prochains rapports, qui devraient sortir en décembre 2024 puis en 2025, porteront sur des sujets transversaux tels que les changements transformateurs, le nexus biodiversité-eau-alimentation-santé-changement climatique, ou encore le lien entre entreprises et biodiversité.
⮕ Connaissances académiques et non académiques (rapports étatiques, réalisés par des entreprises ou des ONG, savoirs locaux et autochtones, etc.) sont prises en compte dès la phase de rédaction des évaluations puis tout au long des étapes de relecture.
🔎 Elle publie des évaluations faisant une synthèse des connaissances scientifiques et sociétales sur des thématiques liées à la biodiversité. Toutes ces évaluations s’appuient sur un socle de base et un vocabulaire commun définis dans un cadre conceptuel. Chaque rapport scientifique, constitué en plusieurs chapitres, s’accompagne d’un résumé pour décideurs, basé sur le rapport, discuté par les États et approuvé en plénière. 👥 Chercheurs et parties prenantes (entreprises, ONG, peuples locaux et autochtones, etc.) sont mobilisés tout au long du processus de définition et cadrage des thématiques, d’écriture des évaluations afin d’intégrer et prendre en compte un maximum de savoirs. Les panels de rédacteurs sont composés d’environ 80 % d’experts et 20 % de parties prenantes. Lors des plénières, les parties prenantes sont présentes en tant qu’observateur. Leur voix est consultative mais peut être appuyée par les États qui le souhaitent. 📅 Annuelles, les plénières permettent de définir les prochains sujets à traiter, d’adopter les rapports de cadrage des évaluations en cours et les résumés pour décideurs des évaluations qui s’achèvent. Y sont aussi discutés le calendrier de réalisation des évaluations envisagées, les questions de gouvernance et fonctionnement internes de l’Ipbes et de ses groupes de travail spécialisés, de budget, etc.
“1 million d’espèces menacées”
C’est le chiffre qui a été largement repris par les médias lors de la sortie de l’évaluation mondiale de la biodiversité en 2019. Au-delà des évaluations thématiques, cette évaluation exceptionnelle a permis d’apporter un regard global inédit, alarmant, sur l’état de la biodiversité à travers le monde et l’ampleur de l’impact des activités humaines. Le programme de travail de l’Ipbes s’inscrivant dans celui de la Convention sur la diversité biologique, une mise à jour de cette évaluation est prévue pour 2028, pour contribuer au bilan sur les objectifs du cadre mondial Kunming-Montréal.
À travers cette évaluation, 5 facteurs de pressions directes sur la biodiversité ont été identifiés : le changement d’usage des terres et des mers, l’exploitation directe des ressources, le changement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes. 4 facteurs indirects sont également définis : facteurs démographiques et socioculturels, économiques et technologiques, émanant des institutions et gouvernance, conflits et épidémies. Au-delà de ces faits et constats, l’évaluation met également en avant une série de changements systémiques majeurs et profonds, transformateurs, à opérer à l’échelle planétaire pour inverser les tendances et assurer l’avenir de l’humanité.
On l’a vu précédemment, l’Ipbes articule prise en compte de l’ensemble des connaissances scientifiques, des enjeux sociétaux mais aussi des enjeux de gouvernance. Comment cela se traduit au niveau français ?
Question à Coline Léandre, chargée du secrétariat scientifique du Comité français pour l’Ipbes depuis la FRB
En France, bien que les enjeux biodiversité soient trop peu présents dans les débats politiques et publics, les décideurs politiques et agents des ministères connaissent maintenant bien l’Ipbes et utilisent les rapports de l’Ipbes dans leurs travaux, notamment pour contextualiser une prise de décision ou pour structurer (par exemple par grandes pressions) leurs stratégies ou diagnostics.
La composition de la délégation française qui se rend au plénière est une bonne illustration pour vous répondre. Elle se compose une vingtaine de personnes, parmi lesquelles des diplomates, des agents des ministères (notamment des affaires étrangères [point focal français pour l’Ipbes], de l’écologie et de la recherche), des agents de l’OFB, de la FRB, du CNRS et des chercheurs experts des sujets qui seront discutés en plénière.
Cette collaboration permet à la fois une prise en compte de l’expertise scientifique dans l’élaboration de la position française pour les discussions du résumé pour décideurs en plénière et un fort appui diplomatique pour ces négociations, de plus en plus politiques et stratégiques. Elle permet également aux chercheurs de faire remonter aux agents de l’État des sujets qui n’auraient pas été portés ou d’engager des discussions sur des sujets habituellement non défendus par le gouvernement français. Par exemple, des débats au sein de la délégation française ont permis une prise de conscience par les membres de la délégation de l’importance du sujet des droits de la nature.
Dernier point important à évoquer : le Comité français hébergé par la FRB, ouvert aux parties prenantes, facilite la remonter de leurs enjeux en accompagnant les relectures des documents de plénière. Par ce biais, ils sont également intégrés dans la définition des positions françaises.
Justement, vous parlez du “Comité français pour l’Ipbes”, en quoi ça consiste plus concrètement ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle, celui de la FRB auprès de l’Ipbes et des ministères français ?
Question à Coline Léandre, chargée du secrétariat scientifique du Comité français pour l’Ipbes depuis la FRB
La FRB accueille plus précisément le secrétariat scientifique du Comité français pour l’Ipbes. C’est un organe de consultation tripartite, composé de représentants des organismes de recherche, des ministères et administrations publiques impliqués sur les questions de biodiversité, ainsi que des représentants de la société.
Le rôle de la FRB est de mobiliser l’expertise française dans les travaux de l’Ipbes, et d’encourager le dialogue entre la science et la politique. Nous apportons également un soutien aux représentants français à l’Ipbes pour la préparation et la participation aux sessions plénières. Une attention particulière est également portée au relai des travaux en cours et résultats de la plateforme dans un objectif : de transferts des connaissances (via des points presse en français, des campagnes de communication voire des événements) ; d’encouragement de la mobilisation de la société (notamment à travers l’Assemblée des parties prenantes (APP) de la FRB) et d’établissement d’un lien entre les travaux de l’Ipbes et d’autres initiatives pertinentes.
Vous parlez de l’importance pour chacune et chacun de s’impliquer dans les travaux de l’Ipbes. Concrètement, à quelle étape est-ce possible ? Qu’est-ce que cela implique en termes de volume d’implication et d’impact concret sur les rapports ?
Question à Coline Léandre, chargée du secrétariat scientifique du Comité français pour l’Ipbes depuis la FRB
Il y a plusieurs possibilités d’implication et pour cela, il est important de comprendre les différentes étapes d’élaboration d’une évaluation Ipbes.
Chaque évaluation Ipbes est réalisée sur une période de 3 à 5 ans par environ 200 experts pluridisciplinaires et internationaux. Entre les grandes étapes de validation (thématique, cadrage, résumé pour décideurs) décidées en plénière par les 147 États membres, l’Ipbes lance plusieurs appels pour que les communautés d’experts (académiques et non académiques) et les gouvernements puissent contribuer à l’évaluation.
Soyons honnête, devenir auteur d’une évaluation représente une implication pro bono considérable : environ 30 % de son temps de travail (environ 70 jours par an) à dédier à l’Ipbes sur une durée de 3 à 4 ans. Intervenir en tant que relecteur, est moins chronophage et représente plusieurs heures ou jours de travail sur une période de 4 semaines en fonction du temps disponible pour la relecture. Ce travail peut se concentrer sur une partie des chapitres ou du résumé pour décideurs en fonction du domaine d’expertise du relecteur. La somme des différentes relectures permet de réaliser un retour pertinent sur l’ensemble de l’évaluation.
Toutes ces contributions ne sont pas vaines et sont indispensables pour garantir la qualité scientifique et sociétale des évaluations de l’Ipbes. Elles peuvent être valorisée par les chercheurs dans leur parcours, leur permettre de nouvelles opportunités de collaboration, etc. Nous observons très concrètement la prise en compte et la citation des résultats de la recherche française, des articles issus des projets Biodiversa+, des projets FRB-Cesab , etc. dans les évaluations. Plusieurs expertes et experts français sont auteurs de ces évaluations et nous leur devons certaines évolutions des documents !
Pour faciliter les échanges, accompagner celles et ceux qui le souhaitent dans leur contribution aux travaux de l’Ipbes ou dans leur mobilisation des résultats de l’Ipbes, des programmes et projets existent à plusieurs niveaux. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Question à Marie-Claire Danner, chargée de mission scientifique en affaires européennes
En effet, les processus internationaux tels que l’Ipbes restent encore peu connus pour qui veut s’y impliquer. Plusieurs projets européens, dont la FRB est partenaire, permettent justement d’aider les communautés de recherche et acteurs de la société à s’impliquer dans les travaux de l’Ipbes et du Giec.
Avec Biodiversa+ et l’ECA Network, la FRB organise des ateliers pour mobiliser les experts européens sur la relecture et l’écriture des évaluations et permettre de rapprocher experts et décideurs politiques européens. Autre exemple : au sein du projet européen Respin, la FRB pilote une étude pour évaluer le niveau d’engagement des experts dans les processus de l’Ipbes et du Giec, les freins et les leviers à leur engagement. Ce travail permettra d’améliorer la prise en compte des connaissances sur la biodiversité et le climat dans la prise de décision publique et aidera à rapprocher les deux plateformes.
On parle beaucoup de circulation de savoirs et d’échanges entre monde académique, société civile, politiques, etc. C’est aussi un point important à différentes échelles géographiques, et essentiel entre thématiques. Une attention toute particulière est portée à la création de liens entre les communautés climat et biodiversité : pouvez-vous nous en dire plus ?
Question à Nathalie Morata, responsable du pôle Coordination européenne et internationale
La perte de la biodiversité et le changement climatique sont les deux grands défis environnementaux de notre époque, et ils sont inextricablement liés. Malheureusement, ces crises majeures ont longtemps été envisagées en silos. Leur interdépendance est désormais établie, et il est crucial de les envisager en leur ensemble, notamment en rapprochant les communautés “biodiversité” et “climat” (de l’Ipbes et du Giec respectivement) incluant scientifiques, décideurs politiques et acteurs de la société civile.
Afin d’opérer un rapprochement entre les communautés françaises sur ces sujets, la FRB organise depuis 2014 les “rencontres Ipbes-Giec”, en collaboration avec les points focaux Ipbes et Giec. Ces rencontres permettent de mobiliser les experts et intégrer les parties prenantes afin d’échanger sur leurs expériences et d’améliorer les processus des plateformes internationales (appels à auteurs, relectures, accueil d’unités de coordination ou de réunions…). À travers ce rapprochement, c’est aussi une meilleure intégration mutuelle des enjeux biodiversité et climat qui est visée, voire une mutualisation des recommandations Ipbes et Giec afin d’éclairer des décisions pertinentes pour la biodiversité et le climat.