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juin 2024  I  Article  I  Cesab  I 

Comprendre les mécanismes qui créent des injustices environnementales permet de lever les freins et de rendre les décisions plus justes et plus équitables

Auteurs : Joachim Claudet, directeur de recherche au “Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement” (Criobe) et membre du CS FRB ; Hélène Soubelet, directrice FRB 

Relecteurs : Pauline Coulomb, resp. pôle Communication et valorisation scientifique (FRB) 

Référence : Claudet, J., Blythe, J., Gill, D.A. et al. Advancing ocean equity at the nexus of development, climate and conservation policy. Nat Ecol Evol (2024). https://doi.org/10.1038/s41559-024-02417-5  

En matière d’accès à la biodiversité et aux services écosystémiques, les asymétries de pouvoirs constituent toujours une défaillance majeure des systèmes de gouvernance qui les empêchent de prendre des décisions justes et équitables. Réunissant 23 scientifiques de 12 nationalités différentes, le projet de recherche Blue justice financé par la FRB au sein de son Centre de synthèse et d’analyse de données sur la biodiversité (Cesab), propose un cadre de réflexion pour identifier et lever ces asymétries qui constituent des entraves à la justice environnementale. 3 pistes sont notamment proposées dans une étude parue le 14 mai dans la revue Nature Ecology and Evolution.

Comprendre les mécanismes qui créent des injustices environnementales permet de lever les freins et de rendre les décisions plus justes et plus équitables
Transformer les organes de gouvernance 

 

La corruption est un des obstacles régulièrement mis en avant mais il est loin d’être le seul. D’autres processus sont également à l’œuvre et bien plus difficiles à combattre, car ils sont légaux et présentés comme légitimes. C’est le cas par exemple de la composition des organes de gouvernance lorsqu’ils incluent majoritairement des acteurs privés au fort pouvoir économique, des acteurs publics et des gouvernements dont la priorité reste le développement économique. Certains groupes, voire certains pays, en sont ainsi régulièrement exclus. La mise en place des zones marines protégées est un bon exemple de ces processus de décision qui manque d’inclusivité : celles avec des niveaux de protection élevés continuent d’être mises en œuvre préférentiellement dans les zones à faible intérêt économique pour les secteurs industriels, mais à fort intérêt économique et patrimoniaux pour les communautés côtières qui dépendent fortement des ressources océaniques. 

 

Pour contrer ces mécanismes, les scientifiques préconisent un recours au concept de justice procédurale, qui permet de diminuer les asymétries de pouvoir en donnant la parole aux parties prenantes silencieuses (les plus pauvres, les femmes, les jeunes, la biodiversité). Autre piste abordée : défragmenter la gouvernance pour moins travailler en silos et veiller à ce que les décisions favorables à un enjeu humain (par exemple la production d’énergie renouvelable) ne nuisent pas de façon grave et irréversible à un autre enjeu humain (par exemple la biodiversité ou la pêche artisanale). 

 

La participation du plus grand nombre aux décisions nécessite un changement profond de culture et de processus qu’il faut accompagner, mais qui est tout à fait possible.  

  • Par exemple, le Conseil de l’Arctique a pris des mesures pour protéger les identités culturelles et les pratiques coutumières de chasse aux mammifères marins des peuples autochtones.  
  • La justice peut aussi intégrer des mécanismes de réparation pour rétablir la reconnaissance et les inégalités de répartition. Par exemple, l’État de Californie a restitué sa propriété côtière à une famille noire dépossédée 90 ans auparavant. 

 

 

Intégrer les divers valeurs, savoirs, indicateurs en amont des décisions 

 

Le savoir, la connaissance et les données qui sont utilisées pour prendre les décisions sont également un point clé des injustices environnementales. Les impacts sociaux et environnementaux des activités sont souvent négligés par rapport aux retombées économiques de ces mêmes activités. De même, les décisions doivent considérer tous les services écosystémiques potentiellement favorisés ou impactés. S’agissant d’océan, la pêche est souvent au cœur des débats. Par ailleurs, il est important de ne pas appliquer des principes de justice simplifiés et généralisés (par exemple des pays du Nord vers les pays du Sud). Les différences et les singularités entre pays ou entre territoires sont importantes et doivent être prises en compte pour que les actions soient adaptées à chaque contexte socio-environmentalo-économique. 

  • Par exemple, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Îles Salomon, le financement des initiatives de développement de la pêche a eu des bénéfices limités car il ne correspondait pas aux valeurs socioculturelles locales, aux contraintes de conservation de la biodiversité ou aux besoins d’adaptation au changement climatique 

 

Au niveau mondial comme au niveau local, des actions sont possibles. Dans le premier cas, un organisme intergouvernemental holistique sur les océans ou un réseau d’organismes existants, intégrant une diversité d’acteurs et leur système de connaissance, pourrait voir le jour afin de garantir une meilleure coordination intersectorielle fondée sur des données probantes et des valeurs. Dans le second, une planification territoriale marine intégrée et inclusive doit inclure tous les acteurs, intégrer les données sociales et environnementales et garantir une répartition juste des bénéfices. En parallèle, fournir des moyens à la recherche et aux chercheurs et chercheuses des différents pays permet de garantir une meilleure évaluation des bénéfices économiques et immatériels adaptés au contexte. 

 

 

Veiller à ce que la décision profite au plus grand nombre 

 

Enfin, le dernier point de levier consiste en l’identification des bénéficiaires de la ressource : sont-ils nombreux ou limités ? Équitable ou concentrés ? Le mécanisme international de partage juste et équitable des avantages issus de la biodiversité ne concerne que les ressources génétiques : les scientifiques préconisent dans l’étude de l’étendre aux ressources marines (les poissons, les algues, etc.) et aux services écosystémiques que nous retirons de l’océan (la régulation du climat, le tourisme, etc.). D’autre part, les gouvernements nationaux, les agences multilatérales et les organisations internationales peuvent investir dans des pratiques organisationnelles qui déclenchent le dialogue sur le pouvoir, notamment en invitant des entités indépendantes à revoir leurs pratiques. 

  • Aux Fidji et aux Îles Salomon et Vanuatu, un levier clé pour améliorer l’équité entre les sexes dans la gestion côtière a été la construction de partenariats stratégiques entre praticiens de la conservation et du développement travaillant sur le genre et les droits de l’homme. 

 

 

Conclusion 

 

Des changements mineurs dans le fonctionnement global du système sont régulièrement mis en œuvre. Ils sont importants, pour initier l’engagement de tous les acteurs, mais restent insuffisants. C’est en effet un véritable changement transformateur profond qui est à présent nécessaire pour augmenter l’équité et la justice bleue. 

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Programme phare de la FRB, le Cesab (Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité) est une structure de recherche au rayonnement international dont l’objectif est de mettre en œuvre des travaux innovants de synthèse et d’analyse des jeux de données déjà existants dans le domaine de la biodiversité. Localisé à Montpellier, il accueille chaque année de nombreux chercheurs, issus de tous les continents.

 

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En savoir plus sur le projet Blue Justice

CONTACT FRB

Pauline Coulomb

Responsable du pôle Communication et valorisation scientifique

 

Fiche – Mail

Le projet de recherche