La modélisation : un outil clé pour comprendre et préserver la biodiversité
La modélisation joue un rôle crucial en écologie, notamment pour la compréhension et la protection de la biodiversité. Parmi eux, les modèles de distribution d’espèces sont particulièrement utiles en conservation. Ils permettent de prédire les zones où les espèces sont susceptibles de se trouver, aidant ainsi scientifiques et conservateurs à identifier les habitats critiques et les régions riches en biodiversité. De plus, ces modèles éclairent les stratégies pour atténuer les effets du changement climatique, gérer les espèces envahissantes et améliorer la connectivité des habitats.
Un défi de taille : la complexité des habitats
Cependant, ces modèles sont particulièrement complexes à paramétrer dans des environnements fragmentés. La pression exercée par les activités humaines contribue à l’isolement des populations animales et à la perte de biodiversité. Par exemple, selon le rapport mondial de l’IPBES de 2019, 75 % des surfaces terrestres ont été modifiées par l’humain. En Europe, la moitié des terres se trouvent à moins de 1,5 km d’une route. Ces infrastructures créent des barrières physiques qui compliquent les déplacements des espèces, augmentent les risques d’extinction locale et diminuent la diversité génétique. Face à cette fragmentation, la connectivité des paysages est devenue une priorité dans les stratégies de conservation. Elle est d’ailleurs explicitement mentionnée dans cinq des cibles du cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité, qui soulignent l’importance d’améliorer les corridors écologiques.
Une solution innovante : intégrer des distances non-euclidiennes dans les modèles de distribution d’espèces
Traditionnellement, les modèles de déplacement dans les paysages fragmentés utilisent des distances dites “euclidiennes”, c’est-à-dire une ligne droite entre le point de départ et celui d’arrivée. Cependant cette simplification ne reflète pas toujours la réalité comme le résume Maëlis Kervellec, première auteure d’un article récent du groupe FRB-Cesab Discar : « Imaginez que vous deviez acheter des pâtisseries. Iriez-vous à la boulangerie juste en face de chez vous, mais de l’autre côté d’une rivière, ou alors à celle sur votre route vers votre travail ? ». De la même manière, les animaux privilégient souvent des itinéraires accessibles ou sûrs, plutôt que le chemin le plus court.
Pour répondre à cette problématique dans le cadre des modèles, les scientifiques du groupe Discar ont développé une approche novatrice en intégrant des distances dites “non-euclidiennes” dans les modèles de distribution d’espèces. Cette méthode repose sur la distance de “temps d’échange”, issue de la théorie des circuits, qui évalue les multiples chemins possibles entre deux points. Contrairement aux approches traditionnelles, cette méthodologie prend en compte les barrières et les corridors présents dans l’environnement, offrant une vision plus réaliste des déplacements des espèces dans des paysages fragmentés.
Applications concrètes : le cas de la loutre et du lynx
Pour illustrer leur méthode, les chercheurs ont appliqué ce modèle à deux espèces de carnivores en recolonisation en France : le lynx boréal dans le Jura et la loutre d’Europe dans le Massif central. Les résultats montrent que les autoroutes agissent comme des barrières pour le lynx, ralentissant son expansion, tandis que les rivières facilitent le déplacement de la loutre. Cette approche a permis de quantifier les effets des infrastructures humaines sur la recolonisation des espèces, ouvrant la voie à des stratégies de gestion plus adaptées.
Olivier Gimenez, chercheur principal du groupe Discar, a exploré un autre défi important des modèles de distribution d’espèces : l’autocorrélation spatiale. En écologie, ce phénomène se produit lorsque des données sont récoltées proches géographiquement et partagent une probabilité similaire de présence d’une espèce. Cela créé des dépendances qui peuvent biaiser les analyses si elles ne sont pas prises en compte. Dans les modèles de distribution d’espèces appliqués aux habitats aquatiques, comme les réseaux de rivières, l’autocorrélation spatiale est souvent modélisée à l’aide de distances euclidiennes ce qui ne reflète pas la réalité des rivières dont les parcours sont sinueux (coudes, méandres, etc.). En intégrant l’autocorrélation spatiale et en tenant compte des distances non-euclidiennes décrites précédemment, Olivier Gimenez a mis au point une approche plus réaliste. Testée sur la loutre d’Europe, cette méthode a montré que les résultats des modèles correspondaient beaucoup mieux aux observations de terrain.
Un outil au service des décisions de conservation
En publiant ces articles, le groupe Discar illustre comment la recherche académique peut avoir des applications directes dans les politiques de conservation. L’innovation de cette approche réside dans sa capacité à intégrer des incertitudes tout au long du processus d’analyse. Les cartes finales reflètent non seulement les meilleures estimations de connectivité, mais aussi le degré d’incertitude associé à ces estimations. Cela peut aider gestionnaires et décideurs à prendre des décisions plus éclairées en matière de conservation, en tenant compte à la fois des tendances observées et de leur niveau de confiance. À terme, cette méthode pourrait être appliquée à d’autres espèces et régions, renforçant ainsi les décisions de conservation.