Les poissons récifaux assurent des rôles écologiques universels à travers les océans
Les traits écologiques des espèces plutôt que leur classification taxinomique déterminent le fonctionnement des écosystèmes et les réponses aux changements globaux. Or, la distribution globale de ces traits reste mal connue. En utilisant la base mondiale des poissons récifaux collectée par le Reef Life Survey, financée dans le cadre d’un projet BiodivERsA, une équipe internationale dont des scientifiques de l’Université de Montpellier, du CNRS et de l’Ifremer, a démontré l’influence prédominante de l’environnement sur la composition en traits et met en avant les rôles écologiques universels assurés par les poissons récifaux à travers les océans. Ces résultats, publiés dans PNAS, le 16 mars 2021, pourraient amener à repenser la stratégie de conservation des espèces.
Qu’est-ce qui détermine le fonctionnement d’un écosystème ? Si l’on a longtemps considéré cette question en tenant compte de la diversité des espèces qui le compose, on sait aujourd’hui que c’est surtout la diversité des traits portés par ces espèces qui détermine le fonctionnement des écosystèmes. Les traits ? « Ce sont leurs caractéristiques morphologiques, physiologiques ou comportementales. La distribution globale de ces traits, qui est influencée par l’environnement et par l’évolution, reste mal connue à travers les océans », explique David Mouillot, chercheur au laboratoire Marbec*. Une connaissance d’autant plus importante que les traits des espèces sont désormais reconnus comme étant les principaux acteurs du fonctionnement des écosystèmes et de la réponse aux changements globaux. Publiée le 16 mars dans la revue PNAS, l’étude impliquant également Fabien Leprieur (UM), Sébastien Villéger (CNRS) et Arnaud Auber (Ifremer), démontre l’influence prédominante de l’environnement sur la composition en traits des écosystèmes récifaux.
À partir de données collectées en plongée par le Reef Life Survey sur 89 régions tropicales et tempérées, l’équipe scientifique a montré un lien très fort entre la similarité en traits des poissons récifaux pour deux régions données et leur similarité environnementale (climat et habitat), malgré leur éloignement géographique et des histoires évolutives différentes. « Nous avons observé des espèces aux tailles corporelles plus importantes dans les latitudes plus élevées alors que les récifs des régions tempérées avaient plus d’espèces piscivores et les régions tropicales plus d’espèces diurnes », précisent les auteurs. Ainsi, les conditions environnementales ont principalement façonné les compositions en traits des poissons récifaux à l’échelle globale, indépendamment de l’identité des espèces présentes.
Malgré les différences de composition en traits des poissons récifaux liées au gradient environnemental, les chercheurs ont identifié 21 groupes de traits qui définissent 21 rôles écologiques et qui sont présents dans toutes les régions marines du globe aussi bien tempérées que tropicales, quelle que soit la composition en espèces. « Cette structure commune à tous les récifs souligne que des rôles écologiques universels existent sur tous les récifs et sont assurés par une grande diversité d’espèces et de lignées évolutives » expliquent les auteurs qui précisent que ces 21 groupes constituent l’épine dorsale du fonctionnement des systèmes récifaux.
Ces conclusions sont tout à fait inattendues dans la mesure où des faunes de poissons situées aux deux extrémités du globe, qui ne partagent aucune espèce ni même aucune famille en commun et qui sont séparées depuis des millions d’années d’évolution, présentent des compositions équivalentes de traits. « Notre article souligne l’importance des conditions environnementales dans la structuration de la biodiversité mondiale, précisent les auteurs. Nos résultats suggèrent ainsi que des stratégies de gestion basées sur les traits peuvent être appliquées dans des régions où se trouvent des espèces différentes, ce qui pourrait améliorer les comparaisons et évaluations des mesures de protection ». Cette étude implique également que la composition des traits, et par conséquent le fonctionnement des écosystèmes, pourraient être considérablement modifiés par les inévitables changements environnementaux à venir.
Matthew McLean, Rick D. Stuart-Smith, Sébastien Villéger, Arnaud Auber, Graham J. Edgar, M. Aaron MacNeil, Nicolas Loiseau, Fabien Leprieur, David Mouillot, 2021. Trait similarity in reef fish faunas across the world’s oceans. Proceedings of the National Academy of Sciences (12) e2012318118 ; https://doi.org/10.1073/pnas.2012318118
Interview des chercheurs possible sur demande :
David Mouillot
Chercheur Université Montpellier
Sébastien Villéger
Chercheur CNRS
Arnaud Auber
Chercheur Ifremer
Interview de Matthew McLean de l’Université de Dalhousie, premier auteur de l’article.
- Financeurs
Ces résultats sont le fruit de travaux réalisés par des chercheurs du projet Reef-futures, financé grâce au programme BiodivScen du réseau européen BiodivERsA, dont la Fondation pour la recherche sur la biodiversité assure la coordination et le secrétariat.
- Partenaires
Université de Montpellier, CNRS , Ifremer, Institut Français de Recherche pour l’Exploitataion de la Mer, Institut Universitaire de France, Université de Dhalousie (Canada), Université de Tasmanie (Australie).
- Laboratoires impliqués dans l’étude
*Marbec : Centre pour la biodiversité marine, l’exploitation et la conservation (Université de Montpellier, IRD, Ifremer, CNRS)
Laboratoire Ressources Halieutiques – Centre IFREMER Manche-Mer du Nord, Département Ressources Biologiques et Environnement, Boulogne sur Mer
- BiodivERsA
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L’Ifremer opère la Flotte océanographique française au bénéfice de la communauté scientifique nationale. Il conçoit ses propres engins et équipements de pointe pour explorer et observer l’océan, du littoral au grand large et des abysses à l’interface avec l’atmosphère. Ses 1 500 chercheurs, ingénieurs et techniciens font progresser les connaissances sur l’une des dernières frontières inexplorées de notre planète ; ils contribuent à éclairer les politiques publiques et à l’innovation pour une économie bleue durable. Leur mission consiste aussi à sensibiliser le grand public aux enjeux maritimes. Fondé en 1984, l’Ifremer est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), dont le budget annuel avoisine 240 millions d’euros.
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