[Conseil scientifique] Interview de Nils Ferrand
Nils Ferrand est chargé de recherche au sein de l’unité “Gestion de l’Eau, Acteurs, Usages” (G-EAU) mais également membre du Conseil scientifique de la FRB. Fondateur et responsable du programme et des outils CoOPLAGE, Nils Ferrand a accompagné des acteurs de tous niveaux dans plus de 40 pays pour concevoir ensemble puis piloter des plans territoriaux et des projets durables sur l’eau et l’environnement Dans le cadre d’une série de portraits des membres actuels du Conseil scientifique de la Fondation, Nils Ferrand a souhaité nous parler des travaux de son équipe : “Participation transformative : 20 ans d’expérimentation internationale vers une durabilité forte”. Bonne lecture !
![[Conseil scientifique] Interview de Nils Ferrand](https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2025/02/CS_midiconf_NilsFerrand_couverture.jpg)
Bonjour Nils. Tu as souhaité parler de la “participation transformative “. Pourquoi est-ce important ?
La participation transformative est une approche qui vise à impliquer activement les citoyens et les parties prenantes dans les processus de changement social et écologique, en allant au-delà de la simple consultation, pour permettre une réelle co-construction des solutions, et aller vers leur mise en œuvre.
Aujourd’hui, l’enjeu fondamental est de voir comment la production scientifique peut engendrer des impacts concrets. Cela traverse les discussions menées au sein de l’Ipbes ou à la FRB et à travers le sujet de “changement transformateur” : comment les connaissances peuvent-elles contribuer à améliorer la qualité de vie et à la durabilité des écosystèmes ? Pour cela, en tant que scientifiques, il est crucial de réfléchir à la manière d’adapter nos pratiques et nos relations avec les autres acteurs pour mieux intégrer la science, la société et la politique. Cela signifie préserver la rigueur scientifique tout en augmentant le potentiel transformateur des connaissances, pour qu’elles puissent véritablement influencer et enrichir les décisions collectives ! Et il ne s’agit pas seulement de produire et transmettre “mieux” des connaissances – approche classique antérieure -, mais de s’engager dans un travail collaboratif différent avec les acteurs non scientifiques, et de construire et suivre ainsi ensemble des chemins de changement. Notre hypothèse de base est que la modélisation participative va amorcer des transformations en réponse aux besoins des acteurs.
Peux-tu nous définir ce qu’est la “participation transformative”, ses grands principes ?
La participation transformative repose sur plusieurs principes fondamentaux visant à engager efficacement les acteurs :
- L’autonomie : l’objectif est de rendre les groupes d’acteurs capables de prendre des décisions en autonomie (se saisir des enjeux collectivement, les analyser, délibérer, planifier, s’engager et réguler), en réduisant les interventions externes ultérieures. Cela est essentiel pour gérer de manière adaptative les écosystèmes et les socio-écosystèmes dans lesquels ils sont impliqués, avec un coût réduit pour les politiques publiques.
- L’inclusion sociale : une participation réussie nécessite l’inclusion de tous les acteurs concernés. Cela signifie s’assurer que chacun a la possibilité de contribuer et de faire entendre sa voix.
- L’organisation collective : pour comprendre et gérer les systèmes complexes, une organisation structurée est indispensable. Cela inclut des processus de modélisation participative qui permettent aux acteurs de partager leurs visions, de définir ensemble leurs priorités et de délibérer sur des cadres normatifs partagés.
- La construction de chemins partagés : les participants doivent pouvoir explorer des scénarios futurs de manière collaborative – par exemple par des jeux sérieux – puis coconstruire des plans d’action réalisables, engageants et efficients. Cette planification participative est rigoureuse et intégrative, pour engager un mouvement transformatif commun et adaptable.
Notre démarche s’appuie sur la création de dispositifs de participation, l’utilisation d’outils et méthodes accessibles, qui légitiment et mobilisent activement les acteurs. Au contraire de “l’acceptologie”, où les citoyens sont simplement invités à approuver des décisions déjà prises, nous défendons une approche où les acteurs s’impliquent, ensemble, dans la co-construction des solutions, la considération de futurs viables. L’élément clé n’est pas de produire un plan final, mais de créer un processus collectif qui aboutisse à une vision partagée et à des actions cohérentes.
Concrètement, comment se met en place la recherche transformative ? Comment réussissez vous, dans ton équipe, à faire travailler ensemble une grande diversité d’acteurs ?
Tout d’abord nous ne travaillons que dans et sur des projets de recherche intervention portés à la demande d’acteurs “de terrain” : élus, administrations, associations. L’existence d’un besoin, d’une demande est fondamentale, même si elle n’est pas initialement partagée par tous et toutes localement. Cela peut choquer certains collègues par cette dépendance assumée, mais elle est cruciale pour la mobilisation et la pertinence des travaux.
Nous sommes un groupe très interdisciplinaire, incluant des spécialistes de la modélisation — écologues, économistes, sociologues, et autres experts — pour élaborer des protocoles qui facilitent la coopération entre acteurs divers.
La méthode est très cadrée, elle repose sur quatre piliers : c’est pour mieux assurer un processus de collaboration et un espace de co-construction !
- Ingénierie participative de la participation : Pour permettre aux acteurs de construire eux-mêmes leur chemin de participation décisionnelle, et le rendre légitime, nous utilisons la méthode PrePar (“Pré-Participation”). PrePar aide à définir précisément les rôles, les actions, et le pouvoir décisionnel des participants. Tout cela peut être formalisé dans un “contrat de participation” incluant un plan et une charte de participation.
- Modélisation et simulation participative : La modélisation participative permet d’agréger les visions des acteurs, y compris les scientifiques, et de créer un cadre de référence commun sur leur système socio-écologique. Divers outils sont utilisés pour favoriser l’engagement, comme des jeux de rôle, désormais au sein des “jeux sérieux”. Depuis 2008, nous avons mis au point le kit Ini-Wag et sa méthodologie dérivée Créa-Wag qui permettent de créer rapidement des jeux de simulation pour discuter des enjeux territoriaux et des politiques publiques. Ces outils aident les participants à confronter leurs perspectives et à comprendre l’impact des actions et des politiques sur leur territoire.
- Planification participative : l’objectif est de créer des plans d’action cohérents et efficaces qui intègrent les points de vue et intérêts des différents acteurs. Pour ce faire, les participants définissent d’abord un langage commun pour décrire les ressources nécessaires et les impacts. Ensuite, ils construisent un référentiel d’actions et génèrent un ensemble d’options stratégiques. Cela permet d’explorer les meilleures combinaisons d’actions tout en discutant des enjeux de faisabilité et d’efficience à différentes échelles.
- Suivi et évaluation : pour évaluer les impacts multiples des actions et générer des connaissances scientifiques, nous avons conçu un cadre méthodologique nommé ENCORE. Mis en place depuis 2004, ENCORE permet de suivre le contexte, le processus, et ses impacts. Ce cadre incite les acteurs à réfléchir collectivement aux changements produits par le processus !
As-tu des cas pratiques à nous fournir où vous avez mis en place cette méthode ?
Notre méthodologie a été appliquée avec succès dans divers contextes à travers le monde. Voici deux exemples dans lesquels il est possible de retrouver les piliers précédents :
- En Tunisie, dans le cadre d’un projet de gestion des ressources naturelles en milieu rural, nous avons conçu un système de comités de territoire garantissant une représentation équilibrée en termes de genre et d’âge, tout en distribuant le pouvoir pour une gouvernance inclusive. Soutenu par l’Agence Française de Développement, ce projet a mobilisé plus de 4 000 participants et environ 30 intervenants permanents, dans 6 gouvernorats, avec une généralisation en cours.
- En 2019, nous avons travaillé sur la réforme des politiques de l’eau en Nouvelle-Calédonie. Cette initiative, menée en collaboration avec le Sénat coutumier et diverses communautés locales, a permis de redéfinir la répartition des pouvoirs dans la gestion de l’eau et de respecter les droits et besoins des populations autochtones en matière de gestion des ressources.
En somme, les approches de “participation transformative” ont démontré leur efficacité dans divers contextes ?
Oui, ancrée dans la modélisation participative et l’inclusion active des acteurs, les expérimentations de “participation transformative” ouvrent la voie à des transformations réelles et durables, adaptant la recherche scientifique aux besoins concrets des sociétés et des écosystèmes. En revanche, nous cherchons encore les chemins d’une généralisation et d’un impact à l’aune des défis actuels.
Vous souhaitez approfondir ces concepts et les exemples cités ? Vous pouvez consulter le livre Transformative Participation for Socio-Ecological Sustainability, accessible librement en ligne.
Consulter le livre en ligne (ENG)
Hassenforder E., Ferrand N. (eds). Transformative Participation for Socio – Ecological Sustainability – Around the CoOPLAGE pathways. Editions Quae, 2024. 270 pages
Livre
Toutes les informations présentées ici sont issues de 20 ans de recherche-intervention internationale, menée par le groupe CoOPLAGE, composé de chercheurs de l’unité mixte de recherche G-EAU “Gestion de l’Eau, Acteurs, Usages” et de leurs partenaires de terrain.
Vidéo
Cette interview est issue d’une midiconférence. Vous pouvez retrouver l’intégralité de la présentation de Nils Ferrand via sa chaîne youtube.
– Michela Busana sur le projet FRB-Cesab Acoucène, visant à évaluer les effets de la pollution sonore sur les populations d’oiseaux en milieu urbain
– Line le Gall sur le projet ATLASea visant à créer un atlas en libre-service de génomes marins
– Juliette Young sur le rapport IUCN sur les conflits et la coexistence entre humains et faune sauvage
– Sabrina Gaba sur la Zone Atelier, traitant des enjeux d’alimentation, d’agriculture et de santé face à l’usage intensif de pesticides