[Biodiversité et changement climatique] Mieux comprendre la redistribution du vivant pour mieux anticiper l’avenir
Auteur : Jonathan Lenoir (CNRS, porteur du projet FRB-Cesab Bioshifts)
Relecture : Pauline Coulomb (resp. Pôle Communication et valorisation scientifique)
Références des articles :
Lawlor, J.A., Comte, L., Grenouillet, G. et al. (2024) Mechanisms, detection and impacts of species redistributions under climate change. Nat Rev Earth Environ 5, 351–368. https://doi.org/10.1038/s43017-024-00527-z
Comte, L., Bertrand, R., Diamond, S., Lancaster, L. T., Pinsky, M. L., Scheffers, B. R., Baecher, J. A., Bandara, R. M. W. J., Chen, I.-C., Lawlor, J. A., Moore, N. A., Oliveira, B. F., Murienne, J., Rolland, J., Rubenstein, M. A., Sunday, J., Thompson, L. M., Villalobos, F., Weiskopf, S. R., & Lenoir, J. (2024). Bringing traits back into the equation: A roadmap to understand species redistribution. Global Change Biology, 30, e17271. https://doi.org/10.1111/gcb.17271
Lenoir, J. (2024) The continental divide in range-shifting birds of North America. Proceedings of the National Academy of Sciences, https://doi.org/10.1073/pnas.2401808121
Du fait du changement climatique et de l’augmentation globale des températures, la distribution des surfaces gelées (glace, neige, pergélisol) régresse à un rythme effréné sur terres et dans les océans. Ceci n’est bien sûr pas sans conséquence sur la distribution du vivant qui est chamboulée. Or, mieux comprendre cette redistribution du vivant s’avère indispensable pour mieux anticiper le devenir de la biodiversité et de nos sociétés.
Ces dernières semaines, trois papiers majeurs sont parus à ce sujet dans des revues scientifiques différentes (Nature Reviews Earth & Environement, Proceedings of the National Academy of Science, Global Change Biology) : le fruit d’un travail conséquent mené par un consortium de 23 chercheurs et chercheuses de 8 nationalités différentes, réunis au sein de BioShifts, un groupe de recherche financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), à travers son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab).
En montagne, les neiges éternelles marquent une limite entre le royaume des glaces de l’étage nival et les étages sous-jacents. C’est la manifestation visible et tangible de l’isotherme du 0°C. Avec le réchauffement, l’isotherme du 0°C remonte inexorablement, et de manière accélérée, vers les sommets en altitude et vers les pôles en latitude, et avec lui la limite des surfaces gelées. Alors qu’il était jusqu’à présent largement accepté que les migrations du vivant suivaient cette même logique, une étude publiée en avril par le consortium BioShifts dans la revue Nature Reviews Earth & Environment montre que seulement 59 % des migrations d’espèces documentées dans la littérature scientifique sont conformes aux directions attendues (c’est-à-dire vers les pôles en latitude ou les sommets en altitude). En analysant les données publiées à travers plus de 250 études, les scientifiques confirment la migration des espèces mais révèlent qu’elles ne se déplacent pas toutes dans les mêmes directions (35 % partent même dans des directions opposées) ni même à la même vitesse que la migration des isothermes. D’autres paramètres que la température entrent donc en jeu pour expliquer les différences entre la redistribution et la vitesse de migration des espèces attendues et celles finalement observées.
Une première piste proposée par le groupe incite à considérer la connectivité spatiale des habitats et donc des isothermes. Celle-ci est par exemple plus importante et resserrée en montagne que dans les régions de grandes plaines, ce qui pourrait expliquer des différences de vitesse de migration (cf J. Lenoir, PNAS 2024). La seconde piste concerne les traits d’histoire de vie ou caractéristiques fonctionnelles des espèces. Dans une autre étude, parue cette année dans la revue Global Change Biology, les chercheurs et chercheuses du groupe BioShifts montrent cette fois que le degré d’exposition au changement climatique affecte différemment la redistribution des espèces en fonction de leurs caractéristiques fonctionnelles (durée de vie, capacités de dispersion, etc.). Bien que leur prise en compte soit complexe, ne pas les prendre en compte peut amener à conclure, à tort, que les traits d’histoire de vie ne sont pas importants. Un phénomène décrit avec précision dans l’étude qui dresse une feuille de route avec des recommandations adressées aux chercheurs pour mieux les intégrer par la suite dans leurs études.
Grâce aux méthodes pointues de synthèses de données et de connaissances, les travaux menés par les scientifiques du groupe Bioshifts offrent aujourd’hui une vision plus claire de la manière dont les espèces s’adaptent au changement climatique. Des informations précieuses pour perfectionner les scénarios et mieux éclairer les décideurs.
Programme phare de la FRB, le Cesab (Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité) est une structure de recherche au rayonnement international dont l’objectif est de mettre en œuvre des travaux innovants de synthèse et d’analyse des jeux de données déjà existants dans le domaine de la biodiversité. Localisé à Montpellier, il accueille chaque année de nombreux chercheurs, issus de tous les continents.
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