Mieux protéger la mégafaune marine grâce aux réseaux sociaux et à l’intelligence artificielle
Des scientifiques de trois unités mixtes de recherche (MARBEC, ENTROPIE et LIRMM) viennent de publier une étude exploitant les dernières avancées technologiques pour recenser des espèces charismatiques de la mégafaune marine de Nouvelle-Calédonie : dugongs, tortues et requins. Ces travaux, intitulés « Exploiter les réseaux sociaux et l’apprentissage profond pour détecter la mégafaune rare à partir de suivis vidéo » et publiés dans la revue internationale Conservation Biology, sont en partie issus du projet de recherche Pelagic financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) au sein de son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab), et s’appuient sur la collecte de vidéos aériennes financée par les Explorations de Monaco.
Depuis plusieurs années, l’apprentissage profond ou deep learning se développe dans de multiples domaines. Cette forme d’intelligence artificielle appliquée à la reconnaissance de formes est devenue un outil essentiel pour le suivi à distance automatisé des populations animales à l’aide de photographies, de vidéos ou même de sons.
La performance et la précision des algorithmes de reconnaissance d’espèces sont dépendantes de leur capacité d’apprentissage, c’est-à-dire du nombre et de la variété des images avec lesquelles les chercheurs sont capables de les alimenter. Pour les espèces rares et menacées, des programmes de suivis aériens par vidéo s’avèrent très utiles au recensement sur terre, comme c’est le cas pour les éléphants, et sont depuis peu étendus au domaine marin et à sa mégafaune de surface, essentiellement des mammifères.
Comment utiliser le deep learning pour les espèces rares des milieux marins telles que le dugong, ou furtives comme les requins, pour lesquelles peu d’images sont disponibles ? En Nouvelle Calédonie, les recherches se concentrent actuellement sur le dugong, les requins et les tortues marines, car ils font l’objet de plans d’action et de sauvegarde spécifiques, à l’interface entre les enjeux politiques, sociétaux, économiques ou environnementaux.
L’acquisition de très grandes quantités d’images destinées à rendre plus performants des algorithmes de reconnaissance automatisée est donc un défi majeur pour ces espèces, dont les suivis aériens restent à ce jour limités et ne fournissent qu’un nombre restreint d’observations.
L’originalité de la démarche présentée dans cette étude est de démontrer le potentiel des vidéos disponibles sur les réseaux sociaux, en complément des suivis vidéos aériens, pour optimiser et entraîner les modèles de deep learning à détecter la mégafaune marine. Les espèces rares ou menacées de la mégafaune marine suscitent en effet une activité abondante du grand public sur les réseaux sociaux. Cette production spontanée d’images et de vidéos est favorisée par le développement conjoint de l’écotourisme, des appareils numériques peu coûteux comme les caméras GoPro ou les drones et de l’Internet haut débit.
Dans cette étude appliquée au dugong de Nouvelle-Calédonie, l’exploitation de ces ressources a permis de constituer une base de données sans précédent. En effet, plus d’un millier d’images en provenance de six régions du monde couvrant l’aire de répartition du dugong ont pu être récoltées sur la toile. Ces images issues des réseaux sociaux ont une valeur limitée pour le suivi in situ, faute d’informations de géolocalisation précises, mais leur intérêt majeur est de contribuer à la constitution d’une base de données enrichie et solide pour l’optimisation des modèles d’apprentissage profond et la détection automatisée des dugongs.
Compilation d’images de survols aériens sur les côtes néo-calédoniennes montrant quelques espèces de la mégafaune. Ces images sont tournées à bord d’hydravions. Bon vol !
Cette méthode a permis de traiter les suivis aériens de dugongs rapidement et avec précision. En effet, 80% des individus présents sur les images sont détectés automatiquement avec succès. Elle offre un nouveau moyen performant pour compter et cartographier les dugongs ainsi que d’autres espèces marines charismatiques dans le but de mieux les protéger. En combinant technologies numériques et données massives issues des réseaux sociaux, elle s’inscrit dans le cadre plus large de l’i-Écologie : l’étude des processus écologiques à l’aide de données en ligne générées à d’autres fins et stockées numériquement. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives pour le suivi à large échelle spatiale des vastes écosystèmes marins.
Leveraging social media and deep learning to detect rare megafauna in video surveys. Conservation Biology. 2021; 1– 11. https://doi.org/10.1111/cobi.13798
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Interview des chercheurs possible sur demande :
Laura Mannocci
Premier auteure de la publication
David Mouillot
Porteur du projet Pelagic
See here for the press release in English.
- Financeurs
Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, Bourse européenne de recherche Marie Skłodowska-Curie, Explorations de Monaco.
- Partenaires
MARBEC (Univ Montpellier, CNRS, Ifremer, IRD), ENTROPIE (IRD, Université de la Réunion, Université de la Nouvelle Calédonie, CNRS, Ifremer), LIRMM, Univ Montpellier, CNRS, Université de Nîmes, Institut Universitaire de France.
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La Fondation pour la recherche sur la biodiversité
La FRB est une fondation de coopération scientifique dont les missions sont de promouvoir la recherche sur la biodiversité, de mobiliser l’expertise publique et privée autour des enjeux de recherche et de communiquer sur les résultats de la science. Programme phare de la FRB, le Cesab (Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité) est une structure de recherche au rayonnement international dont l’objectif est de mettre en œuvre des travaux innovants de synthèse et d’analyse des jeux de données déjà existants dans le domaine de la biodiversité. Le centre, localisé à Montpellier accueille chaque année de nombreux chercheurs, issus de tous les continents.
Plus d’informations sur le Cesab
- Université Montpellier
En 800 ans d’existence, l’Université de Montpellier n’a cessé de relever les défis scientifiques et sociétaux. Forte de ses 16 facultés, écoles ou instituts, et de ses 72 structures de recherche l’Université de Montpellier rassemble une vaste communauté de savoirs : sciences, technologies, activités physiques et sportives, médecine, pharmacie, droit, sciences politiques, économie ou encore gestion. L’Université de Montpellier bénéficie ainsi d’une reconnaissance internationale dans un large éventail de domaines scientifiques tels que la biologie-santé, l’agro-environnement, la chimie, les sciences et technologies de l’information et de la communication, le droit…
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- La Société des Explorations de Monaco
La Société des Explorations de Monaco est une plate-forme collective financée par le Gouvernement de la Principauté de Monaco, au service de l’engagement de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco pour la connaissance, la gestion durable et la protection de l’Océan, Elle réunit, sous l’égide du Gouvernement Princier, la Fondation Prince Albert II de Monaco, l’Institut océanographique, le Centre scientifique de Monaco et le Yacht Club de Monaco. Elle vient en appui de ces institutions en coordonnant ou soutenant des missions internationales collaboratives dans le monde entier.