“Publier ou périr” ! Oui mais où ? Le nouveau dilemme éthique auquel font face les jeunes chercheuses et chercheurs
Dans le milieu de la recherche, combiner évolution de carrière et posture éthique s’avère être actuellement un véritable défi, particulièrement pour les jeunes chercheuses et chercheurs. Onze jeunes chercheuses et chercheurs du Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) s’expriment pour mettre en lumière les choix qui s’offrent à eux et proposent à leurs collègues en postes non-permanent et permanents des actions à mettre en place pour faire évoluer ce système de publication.
En raison de leurs contrats à durée déterminée (les fameux “postdocs”) et du recrutement tardif sur des postes permanents, ils sont soumis à une forte pression pour publier leurs travaux de recherche car cela contribue à la construction de leur réputation et facilite leur avancement académique et professionnel. Publier dans des revues à fort impact – c’est-à-dire avoir une publication académique acceptée dans un journal jouissant d’une grande visibilité et influence au sein de la communauté scientifique – est essentiel pour s’assurer une future carrière. Consciente des enjeux éthiques liés aux coûts exorbitants des publications et à l’utilisation de ces fonds, émanant principalement de fonds publics, cette génération se retrouve confrontée à un défi de taille : comment combiner évolution de carrière et posture éthique?
Une problématique de plus en plus reconnue
Dans une majorité de cas, une fois leur article accepté par la rédaction d’un journal scientifique, les chercheuses et chercheurs doivent payer pour en permettre la publication (cessation des droits d’auteurs au journal, frais de publication, etc.). Dans cet article d’opinion, les jeunes scientifiques du Cesab dénoncent le fait que certains journaux utilisent les marges financières pour rétribuer les actionnaires de ces journaux. Ils plaident pour que le système de publication soit à but non lucratif, c’est-à-dire que les frais de publication servent à payer les frais de publications sans en tirer de profit pour des actionnaires, et qu’ils retournent dans le système académique, par exemple en organisant des conférences.
Ces dernières années, les initiatives et alertes des scientifiques sur cette problématique se sont multipliées, prenant des formes diverses, avec des grèves au sein des rédactions, ou encore à travers une politique de choix restreint et engagés des revues où soumettre des articles scientifiques, etc. Au-delà des gestes individuels comme le boycott de ces journaux non-éthiques, ce qui est risqué pour de jeunes scientifiques, des actions sont possibles pour faire évoluer les pratiques et mentalités des chercheurs et chercheuses tout au long de leur carrière et dans les différents aspects de leur vie académique – au cours de l’écriture d’article, de l’évaluation et de l’édition, membres de comités d’évaluation et collègues.
Des alternatives pour allier choix de carrière et posture éthique ?
Dans le domaine de l’écologie et de l’évolution, les autrices et auteurs proposent les alternatives suivantes :
- La liste Dafnee, une initiative de chercheurs de l’Isem (Institut des sciences de l’évolution de Montpellier), répertorie 475 revues qui ont un système de publication éthique, c’est à dire que les bénéfices faits sur la publication d’un article sont nuls ou en partie réinvestis dans le système académique. S’y référer permet de choisir, à facteur d’impact égal, une revue au modèle plus en adéquation avec l’éthique des auteurs.
- Des initiatives d’intelligence collective telle que la « Peer Community In » (PCI) émergent et prennent une place de plus en plus respectée par les paires, à mesure que la communauté scientifique l’adopte. Ce type d’initiative offre un examen par les paires et une publication gratuite et de haute qualité de manuscrits pré-imprimés provenant d’un large éventail de disciplines, sans que les autrices ou les lectrices n’aient à payer de frais d’abonnement ou de publication.
- Dès la rédaction de l’article, une attention peut être portée afin de citer principalement des articles scientifiques en fonction de leur qualité scientifique intrinsèque et non du prestige de la revue.
Alors que la communauté académique semble de plus en plus consciente du problème éthique majeur lié au système actuel d’édition scientifique, il est désormais nécessaire de passer à l’action pour des changements systémiques majeurs. Déployés collectivement, ces efforts peuvent permettre à la communauté scientifique, et en particulier aux jeunes chercheuses et chercheurs, de sortir de ce conflit entre éthique et carrières.
Accéder à l'article d'opinion (ENG)