Action n°3 : Je cultive des plantes favorables à la biodiversité
Agir en faveur de la biodiversité ? C’est bien ! Avec l’appui de la science ? C’est mieux !
Les travaux de recherche en écologie, en botanique ou encore en biologie marine nous fournissent des informations précieuses pour préserver au quotidien la biodiversité. À travers une dizaine d’articles, la FRB propose de mettre en avant des études scientifiques pour éclairer une nouvelle thématique.
En près de trois décennies, les populations d’insectes volants ont chuté d’environ 80 % en Allemagne. Cette situation probablement très similaire à celle de notre pays a été dévoilée par une étude internationale en 2017 (Hallmann et al. 2017). Si l’agriculture est principalement mise en cause à travers l’usage de pesticides et d’engrais de synthèse, la destruction et la dégradation des habitats de façon plus large figurent en bonne place parmi les facteurs impliqués dans les pertes de biodiversité tant au niveau mondial qu’européen (IPBES 2018). Selon une étude fondée sur des données de sciences participatives (observatoire des papillons des jardins du Muséum national d’Histoire naturelle), l’urbanisation diminue fortement le nombre d’espèces et l’abondance des papillons (Fontaine et al. 2016). Mais à l’échelle locale, nos jardins et balcons pourraient changer la donne.
En effet, les plantes nectarifères et pollinifères produisent respectivement du nectar et du pollen. Aussi dites “mellifères” – car les abeilles domestiques peuvent transformer leur nectar en miel – elles favorisent également d’autres pollinisateurs comme les papillons. Les auteurs de cette étude (Fontaine et al. 2016) ont montré que les espèces de papillons les plus affectées par l’urbanisation étaient aussi les plus sensibles aux pratiques de jardinage. Planter des végétaux riches en nectar peut donc aider ces espèces vulnérables en contrebalançant en partie les effets délétères de l’urbanisation. Centaurées, lavande, ronces, framboisier, valériane, trèfles, lierre et plantes aromatiques forment alors des oasis pour les papillons dans un paysage globalement défavorable. D’autres plantes peuvent même être absolument indispensables lorsque l’espèce de papillons leur est inféodée, comme l’ortie, essentielle à des papillons tels que la petite tortue (Aglais urticae), le vulcain (Vanessa atalanta) ou, dans une moindre mesure, le Robert-le-Diable (Polygonia c-album). En revanche, le buddleia, une espèce exotique envahissante, attire les papillons mais ne leur offre pas autant de ressources alimentaires que les plantes citées précédemment.
“Les fleurs discrètes du lierre regorgent de nectar et de pollen avant l’hiver.”
Si de nombreuses plantes nectarifères et pollinifères exhibent des fleurs colorées ou parfumées telles que les chèvrefeuilles, la lavande, les bleuets et les digitales, d’autres essences parfois décriées recèlent de surprenants bienfaits. Ainsi, le lierre, une plante à la mauvaise réputation, fleurit en automne. Ses fleurs discrètes regorgent de nectar et de pollen avant l’hiver. Deux chercheurs britanniques se sont penchés sur le sujet en 2013 (Garbuzov & Ratnieks 2013). Outre les abeilles domestiques, dont près de 90 % du pollen collecté provenait du lierre, cette plante nourrit aussi une grande diversité de pollinisateurs sauvages. Parmi eux figurent des bourdons, des guêpes, des papillons et surtout des syrphes, ces mouches parfois confondues avec les guêpes dont elles imitent la forme et les bandes noires et brunes. En outre, les oiseaux affectionnent particulièrement les baies du lierre.
D’autres chercheurs britanniques ont mis en évidence la préférence des bourdons pour des espèces végétales méconnues du public, à l’instar de la ballote, ou peu appréciées par les jardiniers, à l’image du lamier blanc – souvent pris à tort pour une ortie et pourtant non urticant (Carvell et al. 2006). D’après leur inventaire, trois quarts des plantes fréquentées par ces insectes sont en déclin au niveau local, notamment les espèces les plus importantes comme le trèfle des prés (Carvell et al. 2006). Si les prairies non semées – qui se régénèrent naturellement – offrent parfois aux bourdons des ressources plus abondantes, celles qui sont entretenues selon un standard environnemental contiennent des plantes qui fleurissent plus tôt dans l’année, essentielles aux reines qui partent fonder leur nid (Lye et al. 2009). Chacun pourrait donc, dans son jardin, agir pour les pollinisateurs en favorisant deux types d’espaces complémentaires : des zones où l’on sème des plantes qui leur sont utiles, et d’autres laissées libres d’évoluer (friches).
“Jardins et balcons forment un corridor écologique pour les graines, oiseaux, arthropodes et petits mammifères.”
En plus des ressources alimentaires qu’elles offrent aux pollinisateurs, les plantes peuvent entrer dans un fonctionnement écologique à l’échelle des paysages. Les parcs urbains constituent par exemple des ensembles d’habitats dans lesquels des espèces animales et végétales vivent. Les jardins et balcons, adjacents ou proches les uns des autres, peuvent aussi former un « corridor » permettant aux graines, oiseaux, arthropodes et petits mammifères de passer d’un ensemble d’habitats à un autre. Le tout forme un réseau connecté, parfois indispensable au bon équilibre écologique de ces milieux fragmentés par les activités humaines. En étudiant les araignées et les coléoptères dans quatre villes franciliennes (Vergnes et al. 2012), des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle ont montré, en particulier pour l’une des familles de coléoptères étudiées, que le nombre d’espèces et l’abondance étaient moins élevés dans les jardins isolés que dans ceux connectés à un corridor. Ils ont ainsi mis en évidence le rôle des corridors écologiques pour maintenir la biodiversité « ordinaire » dans des paysages très fragmentés.
À l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes, où les campagnes s’uniformisent du fait de l’intensification agricole et où la biodiversité s’effondre, nos espaces verts, jardins, balcons ou terrains privés pourraient devenir des « oasis » de biodiversité (dont l’association Humanité et Biodiversité s’est fait le porte-parole avec les Oasis Nature, rejoignant ainsi l’initiative des Refuges LPO initiée en 1921) qui permettraient à celle-ci de s’adapter, au moins pour partie, aux pressions anthropiques croissantes.
Valérianes (en haut à gauche), centaurées comme le bleuet (en haut au centre), lavandes (en bas à gauche), fleurs de lierre (en bas au centre) et ballote (à droite) attirent les papillons, les abeilles, les bourdons, les syrphes, etc. Avec une diversité de plantes sur les balcons et dans les jardins, chaque pollinisateur y trouve son compte.
Retrouvez l’ensemble des articles de la série sur la page dédiée.
- Hallmann, C. A., Sorg, M., Jongejans, E., Siepel, H., Hofland, N., Schwan, H., … & Goulson, D. (2017). More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PloS one, 12(10), e0185809. https://bit.ly/2lpErKf
- IPBES 2018. Résumé pour les décideurs de l’évaluation régionale de la biodiversité et des services écosystémiques en Europe et Asie Centrale (en anglais). Disponible à l’adresse : https://bit.ly/2wCnvJ3
- Fontaine, B., Bergerot, B., Le Viol, I., & Julliard, R. (2016). Impact of urbanization and gardening practices on common butterfly communities in France. Ecology and evolution, 6(22), 8174-8180. https://bit.ly/2MMPUjO
- Garbuzov, M., & Ratnieks, F. L. (2013). Ivy: an underappreciated key resource to flower‐visiting insects in autumn. Insect Conservation and Diversity, 7(1), 91-102. https://bit.ly/2MNC6Ft
- Carvell, C., Roy, D. B., Smart, S. M., Pywell, R. F., Preston, C. D., & Goulson, D. (2006). Declines in forage availability for bumblebees at a national scale. Biological conservation, 132(4), 481-489. https://bit.ly/2tiKYuH
- Lye, G., Park, K., Osborne, J., Holland, J., & Goulson, D. (2009). Assessing the value of Rural Stewardship schemes for providing foraging resources and nesting habitat for bumblebee queens (Hymenoptera: Apidae). Biological Conservation, 142(10), 2023-2032. https://bit.ly/2KauKNN
- Vergnes, A., Le Viol, I., & Clergeau, P. (2012). Green corridors in urban landscapes affect the arthropod communities of domestic gardens. Biological Conservation, 145(1), 171-178. https://bit.ly/2MNCV11
Pour aller plus loin
- Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Liste des plantes attractives pour les abeilles. https://bit.ly/2rnkipw
- Clergeau, P., & Machon, N. (2014). Où se cache la biodiversité en ville ? : 90 clés pour comprendre la nature en ville. Éditions Quae.
- Humanité et biodiversité. Les Oasis Nature. https://bit.ly/2K9gT7l