Dix principes pour améliorer l’équité et la justice dans la gouvernance et l’usage des terres
Référence de l’article : Mayfroidt, P., et al. (2022d). Ten facts about land systems for sustainability. Proceedings of the National Academy of Sciences, 119(7). https://doi.org/10.1073/pnas.2109217118
Auteure : Hélène Soubelet, directrice de la FRB
L’évaluation mondiale de l’Ipbes (2019) a permis de constater que parmi les cinq pressions s’exerçant sur la biodiversité, la plus importante sur les milieux terrestres est le changement d’usage des terres qui peut inclure la déforestation, l’intensification dans la gestion agricole ou encore la fragmentation des habitats. Traiter de ce facteur est essentiel pour répondre aux enjeux de durabilité, notamment la conservation de la nature, le changement climatique, la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et les transitions énergétiques. Malgré la place centrale qu’occupe l’utilisation des terres dans les débats internationaux, des idées fausses continuent d’imprégner les discussions : par exemple le fait que les terres disponibles dans le monde, c’est-à-dire « inutilisées » ou « incontestées », sont abondantes ; ou encore le fait qu’une solution unique et miraculeuse pourra répondre à des questions complexes et diverses.
Atteindre la durabilité à travers les systèmes fonciers est un défi pour de multiples raisons. Précisément parce que de multiples significations et valeurs sont associées à la terre. Également parce que les systèmes terrestres sont complexes, que les dommages peuvent être irréversibles et interconnectés avec des trajectoires de développement, qu’il peut exister des impacts importants liés aux petites empreintes foncières, que les retombées négatives des usages des terres peuvent être lointaines. Mais aussi parce que nous vivons sur une planète où les compromis sont fréquents, parce que les revendications se chevauchent et sont contestées, parce que les avantages et les bénéfices de la terre sont inégalement répartis. Enfin, parce que les acteurs ont des visions multiples, parfois contradictoires, de la justice.
Éviter les impacts négatifs irréversibles est toujours préférable, mais au-delà de ça, progresser vers la durabilité par l’utilisation des terres consiste souvent à négocier des compromis et des compensations justes et acceptables, plutôt que d’obtenir des résultats optimaux ou une paix stable entre les acteurs. À travers une approche multidisciplinaire, les auteurs exposent ici 10 principes clé, sous-tendus par un ensemble de preuves scientifiques solides, qui représentent l’état actuel des connaissances des sciences du système Terre et qui mériteraient d’être acceptées et comprises des scientifiques, des décideurs et des praticiens travaillant sur l’usage des sols. Ces principes n’apportent toutefois pas de réponses simples aux débats actuels sur la gestion des compromis et des synergies, sur comment organiser la multifonctionnalité des systèmes fonciers à travers les lieux et les échelles, ni sur comment mettre en place des procédures et une distribution équitable des bénéfices fonciers. Cependant, ils peuvent aider à adapter la gouvernance des systèmes fonciers pour réaliser un développement juste et durable, fournir un terrain commun pour la science et la politique et donner des pistes pour un agenda de recherche. Six propositions (encadrés) sont détaillées au fil du texte pour permettre aux décideurs et aux praticiens de collaborer pour relever les défis urgents liés aux changements d’usage des terres.
Les dix principes
1. La terre est le foyer de significations et de valeurs multiples.
2. La dynamique du système terrestre est complexe, avec des rétroactions et des interactions qui conduisent à la fois à des changements brusques et à la stabilité.
3. Certains changements d’utilisation des terres ont des impacts sociaux et environnementaux irréversibles à l’échelle de décennies ou de siècles.
4. Certaines utilisations du sol ont une faible étendue spatiale, mais des répercussions importantes.
5. Les systèmes terrestres sont interconnectés à l’échelle mondiale.
6. Les humains utilisent ou gèrent plus des trois-quarts de la surface non glacée de la Terre, mais c’est l’ensemble des terres, même celles qui sont apparemment inutilisées qui sont bénéfiques aux sociétés humaines.
7. L’utilisation des terres implique plus souvent des compromis que des gains ; maximiser un usage de la terre, comme l’atténuation du changement climatique, réduit presque toujours d’autres avantages pour d’autres utilisateurs.
8. Une grande partie des terres dans le monde fait l’objet de multiples chevauchements et revendications foncières.
9. Les avantages et les risques liés à l’utilisation des terres sont inégalement répartis et le contrôle des ressources foncières est de plus en plus concentré par un nombre réduit d’acteurs.
10. La justice sociale et environnementale liée à l’utilisation des sols comprend des formes multiples de reconnaissance et de justice procédurale, distributive et intergénérationnelle.