Face aux espèces envahissantes, la diversité est notre alliée
Article écrit en collaboration avec François Massol, chercheur à l’université de Lille
Auteur : Hugo Dugast (chargé de communication)
Relectures : Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB), Jean-François Silvain (président de la FRB), Agnès Hallosserie (secrétaire scientifique IPBES), Julie de Bouville (Responsable communication)
Dans un monde globalisé où les humains sont présents sur tous les continents et où les échanges se sont multipliés, les espèces animales et végétales voyagent avec eux. Si ce phénomène n’est pas récent, la tendance de ces cinquante dernières années est claire : une étude parue dans la revue Nature Communications indique que, depuis le XIXe siècle, plus d’un tiers des introductions se sont déroulées après 1970, soit un rythme d’introduction de 50 % supérieur depuis cette date. Et ce rythme accru ne semble pas faiblir. Lutter plus efficacement contre la recrudescence de ces espèces reste compliqué. Cependant, une meilleure compréhension de leur comportement, et surtout des réponses des écosystèmes « attaqués », peut y contribuer comme nous l’explique François Massol, chercheur à l’université de Lille.
Dans un monde globalisé où les humains sont présents sur tous les continents et où les échanges se sont multipliés, les espèces animales et végétales voyagent avec eux. Intentionnellement ou non, des espèces sont introduites dans de nouveaux écosystèmes, parfois très éloignés de leur origine. Si ce phénomène n’est pas récent, la tendance de ces cinquante dernières années est claire : une étude parue dans la revue Nature Communications indique que, depuis le XIXe siècle, plus d’un tiers des introductions se sont déroulées après 1970, soit un rythme d’introduction de 50% supérieur depuis cette date. Et ce rythme accru ne semble pas faiblir (Seebens et al., 2017). Certaines de ces espèces – qualifiées d’exotiques par leur provenance – s’adaptent à leur nouveau milieu, puis se multiplient et font concurrence aux espèces autochtones. Lorsque l’entrée dans la compétition d’une espèce exotique est établie, elle est alors qualifiée d’ “envahissante” (Colautti & MacIsaac, 2004). Ce phénomène n’a rien d’anodin : ces espèces exotiques envahissantes seraient la 4e cause de perte de biodiversité dans le monde, avec des effets comparables à ceux liés à l’impact de l’Homme sur les habitats naturels. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les forêts de l’hémisphère nord (Murphy & Romanuk, 2014). D’après un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, 2015), 354 espèces étaient directement menacées par des espèces exotiques envahissantes en Europe, soit 19 % de l’ensemble des espèces en danger.
Lutter plus efficacement contre la recrudescence de ces espèces, aux incidences écologiques diverses, reste compliqué. Cependant, une meilleure compréhension de leur comportement, et surtout des réponses des écosystèmes “attaqués”, peut y contribuer.
En nourrissant leurs modèles des données issues de nombreux travaux, les chercheurs du projet Coreids ont montré que les espèces envahissantes modifiaient leurs écosystèmes d’accueil. Pour ce faire, ils ont notamment analysé ces systèmes comme un ensemble de relations entre espèces. Ces relations sont présentées selon deux types de réseaux : le réseau trophique, qui représente les rapports de prédation entre organismes, et les réseaux mutualistes, dans lesquels les espèces collaborent, comme par exemple les réseaux plantes-pollinisateurs. Ces réseaux sont comparables à d’immenses toiles d’araignées, où chaque nœud représente une espèce et chaque lien une interaction (David et al., 2017).
Entre autres, les membres du projet Coreids ont établi que les espèces envahissantes pouvaient soit modifier en profondeur la toile, soit la fragiliser durablement. Ainsi la moule zébrée qui a envahi progressivement les écosystèmes d’eau douce d’Europe et d’Amérique du Nord a établi des liens avec des espèces à divers niveaux trophiques. Elle se nourrit de matière organique et de particules très fines de détritus dans les cours d’eau, jouant ainsi un rôle de filtre. Sa présence change alors profondément l’écosystème et attire de nombreuses espèces nouvelles tout en en supprimant d’autres.
En revanche, l’introduction d’un prédateur généraliste – qui se nourrit de nombreuses espèces différentes –, telle que la libellule Cordulegaster sp., a généralement un effet négatif sur la biodiversité locale. Ces deux espèces s’insèrent différemment dans le réseau trophique et créent des perturbations différentes dans les communautés. Par contre, si la moule zébrée reconfigure son environnement et maintient une nouvelle diversité, celle-ci peut aussi avoir des effets indésirables. La présence de la moule zébrée entraîne une acidification de l’eau, et elle sert d’hôte à plusieurs parasites qui peuvent se transmettre aux poissons (DORIS, 2016).
Il est ainsi possible de décrire les conséquences de l’implantation d’une espèce envahissante, mais l’autre enjeu majeur est de pouvoir prévenir ces effets. À l’aide du même modèle d’écosystème, et en réalisant des méta-analyses sur certaines espèces envahissantes, on peut tenter de prédire la résilience des communautés face aux invasions (Massol et al., 2017).
En modélisant les systèmes naturels complexes de manière théorique et en étudiant leurs réponses à des perturbations, les chercheurs ont constaté que les milieux étaient plus stables (moins variables dans l’espace et le temps) dans trois cas : d’une part lorsque les interactions entre espèces étaient structurées en réseau trophique (Allesina et Tang, 2012), d’autre part lorsque des liens entre différents écosystèmes permettaient la dispersion des organismes (Gravel et al., 2016) et enfin, lorsqu’ils étaient diversifiés (Wang et Loreau, 2016).
Ainsi, plus ces réseaux sont complexes (écosystèmes riches où les connexions entre espèces sont nombreuses), moins les espèces exotiques trouveront matière à s’établir (Tilman, 1997 ; Smith-Ramesh et al., 2017).
À l’inverse, des réseaux plus simples ou appauvris par la disparition d’espèces endémiques laissent des “niches”, dans lesquelles les espèces exotiques peuvent prospérer et parfois devenir envahissantes, perturbant ainsi les équilibres existants. S’en suit alors toute une reconfiguration de l’écosystème (Pantel et al., 2017). Sur un territoire donné, il est donc bénéfique de maintenir ou favoriser une grande diversité d’espèces et de ne pas détériorer les connexions naturelles leur permettant de se disperser entre divers habitats.
À l’heure du dérèglement climatique et de son impact sur les écosystèmes, ces résultats sont particulièrement pertinents. En effet, les espèces exotiques envahissantes ont la capacité d’étendre rapidement leur territoire et d’atteindre des latitudes plus élevées à mesure que les températures augmentent. La chenille processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa), qui sévit notamment en France, en est un bon exemple.
Celle-ci s’attaque aux pins et fait des ravages dans les plantations mono-spécifiques. Elle est oligophage : son alimentation est limitée à certaines espèces du genre Pinus, et quelques autres de la famille des Pinaceae. La hausse des températures en Europe, notamment hivernales, lui offre de meilleures conditions d’alimentation. Ainsi, son aire de répartition, déjà très importante dans les années 1970, délimitée par une ligne de front allant de Nice à Nantes, s’étend toujours plus au nord et à l’est (Robinet et al., 2007).
Afin de comprendre la progression de ces aires favorables à l’expansion de la chenille et de lutter contre cette invasion, des scientifiques ont produit un ensemble de connaissances sur les interactions entre la chenille et ses prédateurs ou ses proies, et sur son accès à la nourriture et à la chaleur. Un travail qui s’apparente donc à retracer la toile des liens tissés par la chenille avec les éléments de son nouvel environnement. Dans le cas de cette chenille, les scientifiques ont encore une fois constaté que plus les forêts sont diverses, moins l’invasion de la chenille processionnaire était rapide. En effet, un peuplement de pins mêlé à d’autres essences d’arbres ne faisant pas partie de la même famille, freine la progression de l’insecte (Jactel et al., 2015). Cet effet a été constaté en Corse dès les années 1980. Un autre mécanisme de contrôle des populations envahissantes est possible par la recrudescence de prédateurs naturels, elle aussi favorisée par une plus grande diversité forestière. L’action conjuguée de parasites, d’oiseaux et de chauve-souris qui s’attaquent aux chenilles, permet un contrôle de ces populations (Jactel et al., 2015). Si les effets de ces différentes contributions sont encore à quantifier, leur action est préventive et sur le long terme. Mais ce n’est pas tout : l’entretien de forêts résiliantes a ici des effets directs sur les émissions de gaz à effet de serre.
En effet, l’infestation par les chenilles processionnaires des forêts de pins provoque leur mort, et conduit ces arbres à relâcher le dioxyde de carbone stocké dans leur biomasse. Stopper la prolifération de la chenille, c’est aussi contribuer à réduire l’effet de serre à l’échelle locale et donc limiter le réchauffement climatique, cause de sa propagation à travers la France. La boucle est bouclée !