Face aux problèmes climatiques, laissons faire la nature !
Biodiversité et climat : les deux grands défis environnementaux de notre temps sont inextricablement liés. Cette interdépendance, qui a pu être négligée dans le passé (cf. notre tribune : Plaidoyer pour une COP 15 Biodiversité ambitieuse et pour un rapprochement des conventions issues de Rio), est désormais établie dans les sphères scientifiques et, de plus en plus, dans les sphères politiques. En témoignent la tenue du premier atelier conjoint entre l’Ipbes et le Giec, dont nous présentons ici les principales conclusions publiées en juin 2021. Celles-ci viennent nourrir les travaux de la COP 26 pour le climat, qui s’est tenu à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021 et ceux de la COP 15 pour la biodiversité qui se poursuivront jusque fin 2022.
L’existence même de la vie sur Terre dépend du climat et de ses variations. Les écosystèmes modifient la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notamment le CO2, et influencent la formation des nuages et des aérosols. Les organismes vivants sont les principaux acteurs du cycle global du carbone, leur abondance et leur diversité jouent un rôle central dans la dynamique de tous les principaux gaz à effet de serre1.
TENDANCES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
ET CHIFFRES CLEFS SELON LE RAPPORT DU GIEC 20212
- Augmentation des températures : Les augmentations observées des concentrations de gaz à effet de serre depuis environ 1750 sont causées par les activités humaines et ont contribué à un réchauffement de de 1,1°C, évalué sur la dernière décennie. La déforestation moyenne à l’échelle de la planète contribue à environ 12 % des émissions annuelles de carbone. Dans le cadre de scénarios prévoyant une augmentation des émissions de CO2, les puits de carbone océaniques et terrestres devraient être moins efficaces pour ralentir le réchauffement de la planète.
- Augmentation et intensification des précipitations : Les précipitations terrestres moyennes à l’échelle mondiale ont probablement augmenté depuis 1950, en moyenne annuelle, avec un taux d’augmentation plus rapide depuis les années 1980. Il y a également une tendance établie à une intensification des précipitations, même là où il n’y a pas d’augmentation du cumul annuel.
- Fonte des glaciers : L’influence humaine est le principal facteur du recul mondial des glaciers depuis les années 1990 et de la diminution de la superficie de la banquise arctique.
- Acidification des océans : Les émissions de CO2 d’origine humaine sont le principal facteur d’acidification de la surface de l’océan à l’échelle mondiale.
Le projet ACIDOSCOPE, financé par le programme acidification des océans, a mis en évidence la corrélation entre l’acidification et le réchauffement global en démontrant que la limitation du réchauffement global à 2°C permettra de limiter l’acidification à moins de 0.2 unité pH.
- Augmentation du niveau des mers : Le niveau moyen mondial des mers a augmenté de 0,20 m entre 1901 et 2018.
- Evènements extrêmes : L’influence humaine a augmenté la probabilité de survenue d’événements extrêmes depuis les années 1950. Il s’agit notamment de l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et des sécheresses à l’échelle mondiale, des incendies et des inondations, de la proportion de cyclones tropicaux intenses, ainsi que de la réduction de la glace de mer arctique, de la couverture neigeuse et du pergélisol3.
>> Pour aller plus loin : Changement climatique et lacs – La synthèse de données pour mieux comprendre les impacts des tempêtes sur la température des lacs
La plupart des espèces qui se sont déplacées en réponse au réchauffement du XXe siècle ont parcouru plus de 100 km au cours des dernières décennies. Un changement climatique de 2°C augmentera considérablement le risque d’extinction mondiale de nombreuses espèces parce qu’elles ne peuvent pas se déplacer assez rapidement ou parce qu’il ne restera peu ou pas de zones naturelles à climat favorable4. Tous ces effets ont des répercussions sur le fonctionnement des communautés écologiques et des écosystèmes, et donc sur la capacité qu’auront les humains à en retirer des services pour maintenir ou améliorer leur qualité de vie.
Pour comprendre l’évolution de la biodiversité, nous avons besoin de modèles et d’études permettant de mieux prévoir les effets conjugués du changement climatique et des autres pressions anthropiques sur le fonctionnement des écosystèmes. Le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la FRB, a financé des projets dans ce sens. Par exemple, le projet de recherche Maestro travaille à caractériser et évaluer les effets du climat et de la pêche sur la diversité fonctionnelle des communautés de poissons exploitées au cours des 30 dernières années en Atlantique Nord-Est et Méditerranée. Autre exemple, le projet de recherche Lola-BMS étudie la réponse des papillons aux changements climatiques et l’amélioration des méthodes de suivi actuelles et en cours de développement. Le projet a permis de mettre en évidence que le changement climatique affecte la distribution et l’abondance des papillons en Europe et qu’un grand nombre d’espèces décalent leur zone de distribution vers le Nord (voir la fiche résultat).
>> Pour aller plus loin :
Biodiversité et climat – Retrouvez les principales conclusions de l’évaluation globale de l’Ipbes de 2019 sur les liens entre la biodiversité et le climat.
Les mesures prises pour l’atténuation du changement climatique doivent être évaluées en fonction de leurs avantages et de leurs risques globaux, et non pas seulement selon leur bilan carbone. Certaines énergies renouvelables génèrent des poussées d’activité minière ou consomment de grandes quantités de terres, ce qui contribuent à la perte de biodiversité. Ces options entrent toutes en concurrence avec le maintien des espaces naturels et la production alimentaire. Elles peuvent entraîner une intensification non durable de l’agriculture sur les espaces agricoles restants, source de pollution affectant la santé des espèces, y compris les humains. Certaines mesures techniques pour l’adaptation comportent également des risques, comme la construction de barrages et de digues qui viennent interrompre les continuités écologiques et donc certaines dynamiques de la biodiversité. Les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique peuvent donc avoir d’importantes incidences environnementales et sociales négatives, telles que l’interférence avec les espèces migratrices, la fragmentation des habitats et les conflits d’usage des terres.
>> Recours massif aux bioénergies, au captage et stockage de carbone, à la reforestation, aux énergies renouvelables… Explorez ici certaines solutions pour le climat qui peuvent comporter des risques pour la biodiversité selon la manière dont elles sont mises en œuvre.
Les politiques antérieures ont largement abordé les problèmes du changement climatique et de la perte de biodiversité de manière indépendante. Pourtant, l’aggravation concomittante du changement climatique et de la perte de biodiversité signifie que pour résoudre de manière satisfaisante l’un de ces enjeux, il faut tenir compte de l’autre. La planification spatiale et les évaluations d’impact environnemental sont clées. En effet, les aspects négatifs des réponses au changement climatiques décrits précédemment peuvent en grand partie être évités ou réduits si l’on se penche sur les usages des terres et que l’on évite de convertir de nouveaux espaces naturels :
- Les zones reforestées bénéficient à la biodiversité s’il s’agit de zones anciennement forestières.
- Les panneaux solaires ont des impacts moindres s’’il sont placés sur du bâti existants. La mise en œuvre de solutions fondées sur la nature visant à protéger, à gérer durablement et à restaurer les écosystèmes présente des avantages conjoints pour les objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité.
- Près de 30 % des émissions anthropiques de CO2 sont absorbées à la surface du sol par les écosystèmes naturels et semi-naturels.
- Environ 25 % des émissions anthropiques de CO2 sont absorbées par l’océan, en raison à la fois de la solubilité du CO2 dans l’océan et du cycle du carbone organique, alimenté en grande partie par la photosynthèse, la séquestration du carbone dans les habitats végétalisés côtiers et la pompe biologique qui déplace le carbone des couches supérieures de l’océan vers les eaux profondes et les sédiments des fonds marins.
>> Pour en aller plus loin :
#ScienceDurable – Les écosystèmes côtiers, puits de carbone bleu
Ces solutions peuvent contribuer à contenir l’augmentation de la température dans les limites envisagées par l’Accord de Paris.
LES SOLUTIONS FONDEES SUR LA NATURE, DES BENEFICES POTENTIELS
POUR LA BIODIVERSITE ET LE CLIMAT
Les solutions fondées sur la nature sont des actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les défis sociétaux et environnementaux de manière efficace et adaptative. Elles assurent le bien-être humain et offrent des avantages pour la biodiversité. (UICN, 2016). Depuis l’émergence du concept, la communauté scientifique s’est intéressée à sa définition.
Pour en savoir plus :
Avis du Conseil scientifique de la FRB sur les « solutions fondées sur la nature »
Ces solutions sont explorées dans le réseau networkNature au sein de Biodiversa +, le réseau européen de financement de la recherche sur la biodiversité.
Bien qu’il existe des solutions intégrées faisant le lien entre la biodiversité et le climat et présentant également des co-bénéfices en termes de développement durable, un changement transformateur dans la gouvernance et les financements est nécessaire, avec des actions rapides, de grande envergure et une réduction drastique des émissions.
Le changement transformateur est défini comme :
“Une réorganisation fondamentale, à l’échelle d’un système, à travers les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris les paradigmes, les objectifs et les valeurs”5.
Il ne peut être atteint que si les systèmes économiques, sociaux et de gouvernance sont fondamentalement repensés et réorientés.
Figure : Évolution des systèmes de gouvernance vers un changement transformateur
Evolution des comportements et des valeurs vers une vision diversifiée et durable d’une bonne qualité de vie : Cela nécessite des changements dans l’éventail des valeurs, majoritairement non durables, qui sont actuellement perpétuées par les visions dominantes du monde. Il faudra pour cela en modifier les récits, notamment ceux qui présentent le développement humain comme diamétralement opposé à l’intégrité écologique. Les outils permettant ces transformations comprennent par exemple la réflexion sur des systèmes alternatifs de comptabilité.
Réduire la consommation de ressources et d’énergie et garantir des investissements responsables : Les mesures visant à réduire la surconsommation comportent à la fois des incitations (monétaires, éducatives) et des sanctions (réglementaires, financières). Il s’agit par exemple de modifier le comportement des consommateurs par la formation tout au long de la vie ou avec des outils de consommation collaborative (comme le partage et la réutilisation), ou encore avec des plafonnements d’usage, des taxes sur l’utilisation des ressources ou encore des subventions au comportement vertueux. Un autre élément essentiel sera de supprimer les subventions et les incitations qui encouragent la transformation des habitats, la production de matériaux ayant des impacts négatifs sur la biodiversité et favorisant l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Promouvoir l’éducation à l’environnement : Le renforcement de l’éducation, de l’apprentissage et la reconnaissance du pouvoir des histoires et des récits en matière de biodiversité et de climat peut contribuer à renforcer le soutien des citoyens aux actions et aux initiatives vertueuses. L’apprentissage intergénérationnel entre enfants et parents permet de sensibiliser à des comportements de durabilité et encourage les enfants à s’engager pour préserver la nature. Des approches alternatives d’apprentissage comme les modèles de coproduction et de science citoyenne, permettent un rapprochement entre la science et la société pour construire des outils permettant à ces acteurs de travailler ensemble. Les jeux de rôle et les simulations sont deux façons de présenter aux décideurs de nouvelles formes d’apprentissage qui s’avèrent prometteuses. Ces nouvelles façons de planifier et d’apprendre contribuent aux types de gouvernance des systèmes socio-écologiques qui permettront de réaliser un réel changement transformateur.
Développer des indicateurs d’état, d’impact et de réponse pour penser les objectifs politiques autrement et enrayer le déclin de la biodiversité et le changement climatique : La FRB s’est emparée de cet enjeu et a publié, en collaboration avec l’Office français de la biodiversité (OFB), un rapport sur les indicateurs et outils de mesures pour aider à engager les changements et permettre aux sociétés humaines de s’orienter vers des trajectoires socio-économiques durables assurant une meilleure coexistence avec le reste du vivant et la préservation de celui-ci. Consulter le rapport.
Pour aller plus loin :
Journées FRB 2019 – Indicateurs et outils de mesure : Évaluer l’impact des activités humaines sur la biodiversité ?
Journée FRB 2021 – Agir en faveur de la biodiversité – Osons les changements transformateurs !
Temps de lecture :
15-20 min
Dernière mise à jour :
12.01.2022
- La perte de biodiversité et le changement climatique sont tous deux induits par les activités humaines et se renforcent mutuellement
- Les réponses étroitement associées à l'atténuation ou à l'adaptation au changement climatique peuvent avoir des répercussions négatives sur la biodiversité... et le climat
- La prise en compte des interactions entre la biodiversité et le climat offre la possibilité de maximiser les co-bénéfices et de minimiser les compromis entre ces deux enjeux
- Un changement transformateur dans la gouvernance des systèmes socio-écologiques peut aider à créer des voies de développement pour lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité
1 Pörtner, H.O., Scholes, R.J., Agard, J., Archer, E., Arneth, A., Bai, X., Barnes, D., Burrows, M., Chan, L., Cheung, W.L., Diamond, S., Donatti, C., Duarte, C., Eisenhauer, N., Foden, W., Gasalla, M. A., Handa, C., Hickler, T., Hoegh-Guldberg, O.,Ichii, K., Jacob, U., Insarov, G., Kiessling, W., Leadley, P., Leemans, R., Levin, L., Lim, M., Maharaj, S., Managi, S., Marquet, P. A., McElwee, P., Midgley, G., Oberdorff, T., Obura, D., Osman, E., Pandit, R., Pascual, U., Pires, A. P. F., Popp, A., Reyes-García, V., Sankaran, M., Settele, J., Shin, Y. J., Sintayehu, D. W., Smith, P., Steiner, N., Strassburg, B., Sukumar, R., Trisos, C., Val, A.L., Wu, J., Aldrian, E., Parmesan, C., Pichs-Madruga, R., Roberts, D.C., Rogers, A.D., Díaz, S., Fischer, M., Hashimoto, S., Lavorel, S., Wu, N., Ngo, H.T. 2021. Scientific outcome of the IPBES-IPCC co-sponsored workshop on biodiversity and climate change; IPBES secretariat, Bonn, Germany, DOI:10.5281/zenodo.4659158.
2 IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. In Press.
3 Sol minéral brut des régions arctiques gelé en permanence à une certaine profondeur et formé de débris de roches dures plus ou moins broyées par l’érosion glaciaire, en mélange avec de la glace. Sous l’effet du réchauffement climatique, le pergélisol fond en surface. La fermentation de la matière organique qu’il renferme produit des gaz à effet de serre (CO2, méthane) qui contribuent à amplifier ce réchauffement. (Larousse)
4 Pörtner, H.O., Scholes, R.J., Agard, J., Archer, E., Arneth, A., Bai, X., Barnes, D., Burrows, M., Chan, L., Cheung, W.L., Diamond, S., Donatti, C., Duarte, C., Eisenhauer, N., Foden, W., Gasalla, M. A., Handa, C., Hickler, T., Hoegh-Guldberg, O.,Ichii, K., Jacob, U., Insarov, G., Kiessling, W., Leadley, P., Leemans, R., Levin, L., Lim, M., Maharaj, S., Managi, S., Marquet, P. A., McElwee, P., Midgley, G., Oberdorff, T., Obura, D., Osman, E., Pandit, R., Pascual, U., Pires, A. P. F., Popp, A., Reyes-García, V., Sankaran, M., Settele, J., Shin, Y. J., Sintayehu, D. W., Smith, P., Steiner, N., Strassburg, B., Sukumar, R., Trisos, C., Val, A.L., Wu, J., Aldrian, E., Parmesan, C., Pichs-Madruga, R., Roberts, D.C., Rogers, A.D., Díaz, S., Fischer, M., Hashimoto, S., Lavorel, S., Wu, N., Ngo, H.T. 2021. Scientific outcome of the IPBES-IPCC co-sponsored workshop on biodiversity and climate change; IPBES secretariat, Bonn, Germany, DOI:10.5281/zenodo.4659158.
5 IPBES (2019): Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 1148 pages. https://doi.org/10.5281/zenodo.3831673