Les aires marines partiellement protégées sont-elles des facteurs d’efficacité écologique ?
Référence de l’article : M. Zupan et al., Marine partially protected areas: drivers of ecological effectiveness, Frontiers in Ecology and the Environment 16(7) : 1–7, 2018. https://doi.org/10.1002/fee.1934
> https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/fee.1934
Synthèse : Joachim Claudet (directeur de recherche CNRS-Criobe), Elodie Milleret (chargée de missions “Mers et océans” à la FRB)
Relecture : Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB), Jean-François Silvain (président de la FRB)
Les zones côtières du monde sont de plus en plus soumises à des pressions humaines nécessitant une gestion adaptée et stratégique. L’établissement d’aires marines protégées (AMP) est un outil couramment utilisé pour améliorer la conservation, la sécurité alimentaire et la gestion des pêches. L’étude des conséquences écologiques des aires intégralement protégées (c’est-à-dire des zones sans prélèvement) révèle que l’abondance et la taille des espèces exploitées sont généralement accrues et ce, même au-delà des zones protégées dans certains cas, grâce à un effet de débordement. Par ailleurs, ces aires intégralement protégées permettent le rétablissement des populations et des communautés de poissons et d’autres taxons marins assurant ainsi la préservation de la structure de l’habitat.
La mise en place de zones intégralement protégées a souvent entraîné des conflits entre les enjeux de conservation de la biodiversité et les objectifs socio-économiques, en particulier dans les zones exploitées par de nombreux utilisateurs et soumises à différents types d’usages. Ainsi, l’établissement d’aires partiellement protégées, dans lesquelles certaines activités extractives peuvent être autorisées, est devenue une option favorisée par de nombreux décideurs, car plus facile à mettre en place au vu des objectifs à la fois socio-économiques et écologiques affichés. À la suite des accords et engagements internationaux, de plus en plus d’aires marines protégées sont en cours de création, mais la plupart ne sont que partiellement protégées. Il est donc urgent de déterminer quelles formes de protection partielle peuvent apporter des avantages socio-économiques tout en conservant une pertinence en termes de protection de la biodiversité.
Les aires partiellement protégées dépendent du contexte et leurs réglementations varient en fonction des objectifs de gestion qui vont, à leur tour, affecter leur efficacité écologique.
Un nouveau système de classification des aires protégées en fonction des activités commerciales et récréatives autorisées a été récemment développé (Horta e Costa et al., 2016). Dans ce système, les aires protégées, partielles et intégrales, sont classées en fonction des impacts cumulés des activités autorisées. Il est donc essentiel de comprendre les conséquences écologiques des différents types de protection partielle, celles-ci étant très certainement liées à différents régimes de réglementation. Dans cet article, les chercheurs présentent une nouvelle approche pour étudier et déduire comment une diversité de niveaux de protection partielle peut entraîner différents niveaux d’efficacité écologique. Ils ont également examiné comment les caractéristiques des aires protégées (âge et taille) peuvent influer sur l’efficacité des zones partiellement protégées, ou comment les caractéristiques spécifiques aux aires protégées multi-zones, telles que la présence d’une zone intégralement protégée adjacente, peuvent influer sur l’efficacité de la protection partielle.
La base de données a été construite à partir des études de Sciberras et al. (2013) et de Horta e Costa et al. (2016) puis mise à jour à partir de la littérature récente. Les analyses ont été limitées à des études présentant des valeurs d’abondance ou de biomasse d’espèces de poissons ciblées par les pêcheries, celles-ci étant directement affectées par les régimes de protection. Ces études incluent une comparaison des variables écologiques entre les aires partiellement protégées et les zones environnantes dites « zones non protégées ». Les études devaient indiquer la moyenne de la variable de réponse (abondance et/ou biomasse), la taille de l’échantillon et une mesure d’erreur appropriée. Dans le cas de plusieurs études provenant de la même aire protégée, seuls les résultats les plus récents ont été extraits, représentant ainsi la plus longue durée de protection.
Chaque aire protégée a été classée selon le système décrit par Horta e Costa et al. (2016) ce qui a permis d’identifier cinq catégories d’aires protégées en fonction du niveau de leur protection réglementaire. Ces catégories sont présentées dans le tableau ci-après :
L’âge (années depuis l’établissement) et la taille de chaque aire partiellement protégée ont été enregistrées, ainsi que la présence ou non d’une zone adjacente intégralement protégée. La capacité de mise en œuvre de la réglementation a été évaluée en utilisant un indice d’efficacité de la gestion de la pêche au niveau national comme indicateur indirect de l’application des réglementations de la pêche dans la zone protégée. Les valeurs allant de 0 à 1 représentent respectivement une capacité d’exécution faible et une capacité d’exécution élevée. La base de données finale comprenait 49 études de cas dans le monde entier incluant des aires partiellement protégées dont 24 caractérisées comme hautement protégées, 17 modérément protégées, sept faiblement protégées et une très faiblement protégée. L’analyse a par la suite été limitée aux trois premières classes.
L’efficacité écologique des aires partiellement protégées a été évaluée en mesurant la magnitude de la réponse écologique pour chaque zone, le ratio de l’abondance moyenne ou la biomasse estimée mesurée entre l’intérieur et l’extérieur des aires partiellement protégées.
La première conclusion est que l’efficacité en termes d’abondance et de biomasse des aires partiellement protégées dépend de leur niveau de protection. Comme c’est le cas pour les aires intégralement protégées, en moyenne, l’abondance et la biomasse des espèces de poissons ciblées étaient plus élevées dans les aires hautement et modérément protégées que dans les zones non protégées. Ainsi, comparées aux zones non protégées :
- les aires hautement et modérément protégées présentaient une abondance trois fois supérieure et une biomasse de poisson trois à quatre fois supérieure ;
- en revanche, l’abondance et la biomasse des poissons dans les aires faiblement protégées ne différaient pas de celles des zones environnantes non protégées.
Cette étude a aussi permis de mettre en évidence que, tout comme pour les aires intégralement protégées, l’efficacité écologique des aires hautement et modérément protégées augmentait avec l’âge et la taille des aires protégées, et la capacité de mise en œuvre des réglementations.
- En effet, l’abondance et la biomasse des espèces de poissons ciblées ont augmenté respectivement en moyenne de 5,1 % et 4,6 % par an dans les zones protégées en comparaison des zones non protégées.
- De manière générale, les espèces ciblées étaient influencées positivement par l’âge, la taille et la capacité de mise en œuvre des réglementations dans les zones modérément et hautement protégées.
- En revanche, aucun effet significatif n’a été détecté pour les espèces ciblées dans les zones faiblement protégées.
La présence d’une zone intégralement protégée adjacente à une aire partiellement protégée joue également un rôle dans l’efficacité écologique de la zone considérée.
- L’abondance et la biomasse des poissons étaient en moyenne 1,6 et 2,1 fois plus élevées dans les aires adjacentes à une aire intégralement protégée.
- Les avantages des aires modérément protégées sont observables uniquement lorsqu’elles sont adjacentes à une aire intégralement protégée.
- Les zones faiblement protégées ne sont toujours pas efficaces, même en présence d’une aire intégralement protégée.
Ayant démontré que l’efficacité écologique de la protection partielle dépendait de paramètres spécifiques, à l’issue de cette étude les auteurs proposent donc une première approche de l’évaluation de la performance des aires partiellement protégées sur la base de cinq « descripteurs » :
- (1) le type (défini en fonction des usages autorisés) ;
- (2) la présence d’une zone adjacente intégralement protégée susceptible d’influencer leur efficacité ;
- (3) la capacité de faire respecter les réglementations ;
- (4) leur âge ;
- (5) leur taille.
Le constat le plus remarquable est que la réglementation est l’élément clé de l’efficacité écologique des aires protégées. Les zones modérément et hautement protégées abritent une abondance et une biomasse d’espèces de poissons ciblées plus importantes que dans les zones non protégées, alors qu’aucun bénéfice écologique n’a été détecté dans les zones faiblement protégées. Les aires hautement et modérément protégées autorisent certaines utilisations extractives qui ont des impacts faibles ou modérés sur les écosystèmes. Tandis que les zones faiblement protégées autorisent davantage de types d’engins de pêche ou des activités ayant des impacts négatifs plus importants.
La combinaison d’une zone intégralement protégée avec des zones modérément protégées confère des avantages positifs. Étant donné que la classe « protection modérée » est un choix courant de conception des AMP, il est important d’envisager de placer ces zones à proximité de zones intégralement protégées pouvant alors leur permettre de soutenir des avantages écologiques.
La mise en œuvre des aires protégées nécessite l’intégration des objectifs de conservation d’une part et des objectifs socio-économiques et politiques d’autre part. La conception des AMP doit également être guidée par des objectifs de gestion particuliers.
Le système de classification basé sur la réglementation tel que présenté dans cette étude fournit un outil adéquat pour tester à la fois des objectifs, mais également des impacts concrets tels que prédits par la réglementation des usages.
Cette étude peut ainsi aider les décideurs et gestionnaires à déterminer les niveaux de protection appropriés pour atteindre des objectifs spécifiques en tenant compte du type de réglementation adopté dans chaque AMP.