#ScienceDurable – Changement climatique : les promesses du microbiome
Auteur : Julie de Bouville, Experte en communication
Relecteur : Francis Martin, Microbiologiste (INRAE)
D’après une étude parue dans la revue de référence Science, il suffirait de planter 1 200 milliards d’arbres pour résoudre la question climatique. Si l’idée peut paraître séduisante, elle n’a pas résisté aux très nombreuses critiques de la communauté scientifiques qui a vu là une solution simpliste à un problème éminemment plus complexe. Parmi ces critiques, la notion même d’arbre comme simple aspirateur de carbone pose question.
Pour le microbiologiste Francis Martin, chercheur à l’INRAE, exploiter l’arbre seul n’est pas suffisant : « Pour bien assimiler le carbone, la plante a besoin de tout son cortège d’espèces microbiennes associées, ainsi que des bactéries, des collemboles1, des nématodes et autres petits animaux de la rhizosphère2 qui assurent le cycle du carbone dans les sols. » Dans ce processus de recyclage, chacun a son rôle à jouer. Mais certains microorganismes se révèlent clé. « Les champignons symbiotiques ont en effet une place privilégiée dans la récupération du carbone, poursuit Francis Martin. Ils créent l’interface entre la racine de la plante et le reste de la communauté microbienne du sol. Ils sont les répartiteurs du carbone vers leurs propres réseaux de filaments fongiques. » Un quart du carbone de la photosynthèse est ainsi redistribuée aux communautés microbiennes du sol par les champignons mycorhiziens.
Si ces découvertes laissent entrevoir la possibilité pour les forestiers de sélectionner le microbiome3 et l’associer aux arbres pour les rendre plus performant dans leur capture du carbone, la vision du microbiologiste est tout autre : « le meilleur des systèmes est déjà en place. Et ce depuis des millions d’années… » En effet, dans les forêts primaires ou peu anthropisées réside une très grande diversité d’espèces. Chaque arbre vit avec 200 à 300 champignons symbiotiques bénéfiques, qui jouent chacun un rôle bien spécifique. Certains sont spécialisés dans l’absorption de l’azote, d’autres du phosphate ou des microéléments, d’autres encore protègent la racine des pathogènes. « Donc ces systèmes naturels qui ont évolué depuis des dizaines de millions d’années, ont atteint un optimal écologique que les forestiers auront bien du mal à imiter. » Ainsi, laisser les forêts revenir à leur état naturel, ne plus couper les arbres, ne plus ramasser le bois mort, laisser la diversité des champignons et des autres organismes se développer est l’une des solutions pour atténuer le changement climatique. Cette gestion durable pourrait d’ailleurs être développée sur près du 20 % du territoire européen grâce au réseau Natura 2000.
« En revanche, dans certains cas, comme dans celui de la sylviculture intensive, où les plantations forestières sont utilisées pour la production industrielle du bois, il est envisageable d’associer aux arbres un cortège de champignons symbiotiques mycorhiziens4 spécifique pour stimuler fortement leur croissance initiale » souligne Francis Martin. Ces champignons symbiotiques mutualistes5, appelés champignons mycorhiziens, se rencontrent à l’automne dans les forêts. Ainsi, le Cèpe de Bordeaux, les Chanterelles, la Truffe, l’Amanite tue-mouche font partie de ce groupe de champignons stimulant la croissance des arbres … « Ce que l’on récolte à l’automne en forêt n’est autre que l’organe sexuel de ce réseau fongique de filaments – le mycélium – qui vit en interaction avec la plante. Nous voyons seulement la partie émergée de l’iceberg ».
À l’heure où l’on assiste à des dépérissement majeurs et massifs d’arbres dû aux sécheresses répétées, les gestionnaires s’interrogent sur le devenir de leurs forêts « Dans l’Oise, par exemple, de nombreuses chênaies sont victimes de dépérissements importants, constate tristement Francis Martin » Adapter la gestion forestière au changement climatique devient crucial. « Les propriétaires forestiers nous demandent quoi planter. Les mêmes espèces de chêne ? Ou des chênes plus adaptés venant des régions méditerranéennes ? » Parmi les multiples stratégies d’atténuation des effets du changement climatique, la migration assistée d’espèces méridionales est possible, mais encore faut-il que les espèces introduites soient associées à leur microbiome adapté. Outre, le déplacement d’espèces et de leur cortège microbien, les scientifiques explorent la possibilité d’associer aux arbres d’autres champignons mycorhiziens capables d’améliorer leur résistance à la sécheresse des sols « On en connaît quelques-uns qui favorisent l’absorption d’eau par la plante en stimulant le flux d’entrée de l’eau. Leur inoculation à de jeunes plants pourrait favoriser leurs chances de survie en cas de sécheresses multiples »
Les scientifiques appellent cela la mycorhization contrôlée. « L’association entre le sapin de Douglas et le Laccaire (Laccaria bicolore) est même commercialisée et utilisée en pépinières forestières précise Francis Martin. » Un autre exemple, très emblématique de l’utilisation raisonnée de cette alliance entre arbres et champignons bénéfiques, est la production de plants truffiers, dont 80 % de la production française de truffes provient de vergers de plants issus de la mycorhization contrôlée.
Aujourd’hui, les scientifiques s’efforcent d’inventorier, grâce au séquençage massif, le microbiome des plantes dans tous les écosystèmes de l’Arctique aux Tropiques. « Nous disposons d’outils extrêmement performants. Par exemple, je peux parcourir les forêts d’altitude du Yunnan chinois et prélever avec mon équipe plus de 5 000 échantillons de sol en quelques jours. De retour au laboratoire, l’ADN des champignons du sol est extrait et séquencé en quelques mois. J’ai ainsi une liste détaillée des milliers d’espèces de champignons qui vivent dans ces sols forestiers » précise Francis Martin.
« On en est au début de ces recherches complexes. On est en train de décortiquer les mécanismes contrôlant ces interactions multiples. On espère les maîtriser pour que, dans cinq à dix ans, on puisse associer à une espèce d’arbre donnée son microbiome idéal. » Francis Martin a donc espoir de proposer aux forestiers et agriculteurs des interactions plantes-microbiotes optimisées capables de protéger les plantes des effets néfastes du changement climatique. Cette démarche s’inscrit dans une vision durable de la gestion forestière et permettra de développer l’agroécologie. « Si je suis optimiste, on peut espérer aller vers ce type de systèmes optimisés d’ici une dizaine d’année et espérer ainsi limiter l’usage massif des phytosanitaires et des engrais, mais là je rêve peut-être un peu… »
Une cartographie mondiale des symbioses microbiennes des arbres a été publiée en Une de Nature le 16 mai 2019 par l’Initiative pour la biodiversité des forêts mondiales (Global Forest Biodiversity Initiative – GFBI). Le Cirad, membre du comité de pilotage du GFBI, a contribué à la coordination de la collecte de données pour les forêts tropicales et à leur analyse. Les chercheurs ont montré que si les émissions de carbone se poursuivent d’ici 2070, 10 % des champignons ectomycorhiziens des arbres disparaîtront. Cela entraînerait, tel un effet boule de neige, des émissions encore plus importantes de carbone dans l’atmosphère.
Pour plus d’informations : Lire le communiqué de presse sur le site du Cirad
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1 Les collemboles sont de petits animaux dont le squelette externe est articulé (arthropodes). Ils possèdent six pattes (hexapodes) et n’ont pas d’aile (aptères). Ils constituent un élément important de la biodiversité des sols.
2 La rhizosphère est la région du sol comprenantles racines et les micro-organismes associés qui font partie du microbiote des plantes. Cette zone est réduite à une ou deux dizaines de centimètres d’épaisseur sous des pelouses ou des prairies, mais elle est parfois beaucoup plus épaisse dans les forêts des zones tempérées.
3 Le microbiome est l’environnement de vie du microbiote, le mot microbiote désignant ici les micro-organismes qui se sont adaptés à la vie à la surface et à l’intérieur d’un organisme vivant.
4 Une mycorhize est le résultat de l’association symbiotique, appelée mycorhization, entre des champignons et les racines des plantes.
5 Le mutualisme est une interaction entre différentes espèces dans laquelle tous les organismes impliqués tirent des avantages en termes de protection, dispersion, apports nutritifs, pollinisation.
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Francis Martin,
Microbiologiste (INRAE)
- Le microbiome est aussi porteur de promesses pour atténuer les conséquences du changement climatique sur les forêts plantées.
- Les effets bénéfiques de ces alliances ont déjà été prouvés en laboratoire sur différentes espèces d’arbres d’intérêt sylvicole.
- Reste maintenant à comprendre la façon dont la plante sélectionne ses partenaires et comment en retour les partenaires microbiens influencent sa physiologie, son immunité et son développement.