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août 2023  I  Article  I  Ipbes  I  Biodiversité et océans

La prévention des invasions biologiques : un enjeu crucial pour l’environnement

Interview de Yohann Soubeyran, coordinateur au comité français de l’UICN

Propos recueillis par Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)

Yohann Soubeyran est coordinateur “espèces exotiques envahissantes” au Comité français de l’UICN. Il pilote l’animation du Centre de ressources sur ces espèces et d’un réseau dédié à la thématique à l’échelles des outre-mer françaises. Ces dispositifs visent à améliorer l’efficacité des démarches de prévention et de gestion des invasions biologiques et à accompagner les politiques et stratégies nationales et locales sur le sujet. Aujourd’hui, le coût des invasions biologiques s’élève à près de 116 milliards d’euros dans l’Union européenne sur les 60 dernières années, dont 20 % pour les mesures de gestion. Yohann Soubeyran revient sur la meilleure option pour endiguer cette menace : la prévention.

 

La prévention des invasions biologiques : un enjeu crucial pour l’environnement Le recours à des essences exotiques au sein « d’îlots d’avenir », plus tolérants à la chaleur et à la sécheresse, est encouragé par les pouvoirs publics. Or une part importante des espèces préconisées sont des espèces exotiques comme le Noyer noir par exemple.

En quoi consiste la prévention ?   

 

Elle vise à mettre en place des mesures de contrôle des importations aux frontières et de biosécurité pour limiter l’arrivée de nouvelle espèces exotiques et leur déplacement. Cela nécessite un cadre réglementaire et une surveillance biologique organisée du territoire. La surveillance doit se concentrer sur les points chauds d’introduction tels que les ports et les aéroports, les voies de communication, comme les routes ou les voies ferrées, qui constituent des corridors de dispersion. Une vigilance particulière doit aussi être portée aux espaces prioritaires, tels que les espaces naturels et les aires protégées abritant des espèces patrimoniales, endémiques ou en danger qui pourraient être menacées par ces espèces exotiques envahissantes.

 

 

Combien d’espèces arrivent sur le territoire ?   

 

D’après l’indicateur de l’observatoire national de la biodiversité, depuis 1983, un département de métropole compte en moyenne 11 espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans. Le cas du frelon asiatique est emblématique. Détecté pour la première fois en 2004 en France, il a depuis colonisé presque toute l’Europe. Le coût de la lutte contre cette invasion en France se chiffre à plusieurs millions d’euros par an, et s’accroit avec le temps. L’éradication aurait été possible au début de l’installation de l’espèce. Aujourd’hui ce n’est plus envisageable, on est obligé de vivre avec.   

 

 

Y a-t-il régulièrement des alertes ?

 

La pression aux frontières est permanente. Il y a déjà eu plusieurs alertes nationales d’invasions biologiques potentielles. Entre 2019 et 2021, quatre nouvelles espèces exotiques d’écrevisses problématiques pour nos cours d’eau ont été découvertes en France. Originaires d’Amérique du Nord, elles ont sans doute été introduites accidentellement, mais on ne peut pas exclure des relâcher intentionnels. En 2022, la petite fourmi de feu ou fourmi électrique a été découverte à Toulon. Cette espèce originaire d’Amérique du Sud est l’une des cinq espèces de fourmis les plus envahissantes au monde. On peut supposer qu’elle est arrivée par des bateaux militaires ou par le commerce des plantes. Bien que nous parvenions à les identifier et les détecter, il y a encore peu de réponses efficaces face à ce problème.

 

 

Lorsque l’espèce exotique envahissante est déjà installée sur le territoire comment limite-t-on son déplacement ?   

 

 Il existe des listes réglementaires et scientifiques. La liste règlementaire permet par exemple d’interdire l’importation ou la commercialisation des espèces identifiées. Pour la France métropolitaine, 94 espèces sont aujourd’hui réglementées et interdites de commerce, transport ou encore colportage. Mais on est bien loin du nombre des espèces pouvant s’installer sur le territoire. A côté de cela, il existe des listes scientifiques qui se fondent sur des inventaires, des évaluations et la caractérisation du risque. Bien que parfois soumises à discussion et débat sur la méthodologie, ces listes permettent d’orienter des actions de surveillance et de gestion sur le territoire.

 

 

Qui est en charge de construire ces listes scientifiques ?   

 

Pour la flore, se sont notamment les conservatoires botaniques nationaux qui sont en charge de produire ces listes. Aujourd’hui, on arrive à inventorier entre 600 et 900 plantes naturalisées dans chaque région. Une centaine sont considérées comme espèce exotique envahissante. Mais ce statut peut varier avec l’espace et le temps. Une espèce peut être considérée comme envahissante dans le sud par exemple, mais pas dans le nord. Elle peut l’être ou le devenir puis disparaitre. C’est par exemple le cas de la Caulerpe (Caulerpa taxifolia) qui a envahi les côtes de plusieurs pays méditerranéens dans les années 1990-2010, mais dont les populations sont aujourd’hui en forte régression. Des espèces exotiques problématiques sur le moment peuvent , après de nombreuses années, trouver leur place dans l’écosystème et fournir par exemple des services écosystémiques qui avaient disparus. Les acteurs confrontés aux invasions biologiques s’interrogent de plus en plus sur les évolutions possibles vers des « néo-écosystèmes », définis comme des assemblages hybrides et fonctionnels d’espèce indigènes et d’espèces exotiques. C’est un sujet émergent pour la recherche.

 

 

Les politiques publiques nationales sont-elles cohérentes pour répondre à cet enjeu ?

 

Pas toujours… Par exemple, dans un contexte de changement climatique, un enjeu majeur pour la forêt française est d’accroître ses capacités de résilience pour garantir la qualité et la quantité de l’ensemble des services fournis. Parmi les solutions proposées, le recours à des essences exotiques au sein « d’îlots d’avenir », plus tolérants à la chaleur et à la sécheresse, est encouragé par les pouvoirs publics. Or une part importante des espèces préconisées sont des espèces exotiques comme le robinier, le chêne rouge ou le noyer noir dont le caractère envahissant pour certaines est bien documenté en France et ailleurs dans le monde. A l’heure où les scientifiques n’ont de cesse d’alerter sur les impacts négatifs des invasions biologiques, la question de la cohérence entre nos politiques publiques nationales se pose d’autant plus.

 

 

Avons-nous en France les moyens de prévenir les invasions biologiques ?

 

Depuis quelques années, des réseaux et des groupes de travail se sont constitués et des stratégies régionales en métropole et en outre-mer ont été élaborées pour définir un cadre d’action collectif. Les résultats sont là en termes d’amélioration des connaissances, de stratégie collective, de réglementation. On sait ce qu’il faut faire. Reste la question des moyens humains, financiers et d’une volonté politique pour mettre en œuvre la prévention. Il nous faut aujourd’hui accentuer la sensibilisation des citoyens, des élus et professionnels, renforcer notre biosécurité avec plus de personnels formés aux frontières et sur le terrain et une surveillance biologique coordonnée du territoire. Enfin, il nous faut soutenir davantage la recherche pour développer des outils d’aide à la décision afin de mieux anticiper les prochaines invasions.

#Ipbes10

À l’occasion de la publication du rapport d’évaluation de l’Ipbes sur les espèces exotiques envahissantes et leur contrôle (connu sous le nom de « Rapport sur les espèces exotiques envahissantes ») lors de sa dixième session plénière, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et le Muséum national d’Histoire naturelle donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.

 

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CONTACT FRB

Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la FRB

 

Fiche – Mail

Intervenant

Yohann Soubeyran, coordinateur au comité français de l’UICN.

La campagne #Ipbes10 Retour à la page principale