Les milieux humides et aquatiques continentaux : une évaluation dans le cadre du programme EFESE
Auteur : Marilda Dhaskali, chargée de mission “politiques publiques” à la FRB
Relecteurs : Jérémy Delvaux (CGDD), Julie de Bouville (FRB), Hélène Soubelet (FRB)
Lacs, rivières, marais ou encore canaux… les écosystèmes aquatiques ou humides abritent une grande biodiversité mais font partie des milieux les moins bien conservés en France. Pourtant, ils nous apportent de nombreux services tels que la régulation des crues et de la qualité de l’eau. Que préconise l’EFESE pour reconquérir ces milieux en danger ?
La deuxième moitié du 20e siècle a été marquée par une diminution importante des surfaces de milieux humides sur le territoire métropolitain français et par la progression de l’artificialisation de ces écosystèmes (baisse de 38% de la surface des milieux humides naturels au sein des sites d’importance internationale dits « Ramsar » entre 1975 et 2005). Aujourd’hui encore, les milieux humides font partie des espaces les moins bien conservés à l’échelle nationale, eu égard à leur aire de répartition, surface, structure, fonctions et perspectives futures. Or, non seulement ces milieux abritent une biodiversité d’une grande richesse (plus d’un tiers des espèces recensées et près de 45% des espèces menacées sur le territoire), mais ils procurent également nombres de biens et services écosystémiques, qu’un rapport dédié, au sein du programme EFESE, a identifiés, caractérisés et, lorsque les données le permettaient, évalués.
En termes de régulation, les milieux humides jouent notamment un rôle essentiel dans l’atténuation des crues. Ce service écosystémique s’exprime par l’intermédiaire de phénomènes de rétention de l’eau dans les mares ou les lacs ainsi qu’à l’épandage du débit de crue dans les plaines alluviales et les marais annexes. Donc, le fonctionnement des écosystèmes humides permet de limiter les impacts des inondations sur les installations humaines. Dans un pays où 3,7 millions de logements sont situés en zone inondable1 et où les coûts associés aux inondations peuvent se révéler très élevés (entre 900 millions et 1,4 milliard d’euros pour la crue survenue en région parisienne en mai 2016), l’importance de préserver les milieux humides jouant un rôle de régulation du débit des crues apparaît essentiel. Des pratiques de type « renaturation des cours d’eau » visant à renforcer le niveau de service voient ainsi le jour depuis plusieurs années. Le Conseil départemental de l’Isère a ainsi développé des espaces de crue grâce au principe des champs d’inondation contrôlée pour protéger ses zones urbanisées2.
Outre l’atténuation des crues, les milieux humides et aquatiques continentaux permettent de réguler la qualité de l’eau, notamment de par leur capacité de rétention de l’azote, du phosphore, des matières en suspension et de certains micropolluants organiques. Ces fonctions revêtent un intérêt économique dans la mesure où elles allègent les coûts de traitement et d’épuration des eaux en stations. Elles permettent également d’améliorer la qualité de l’eau des milieux, avec des conséquences sanitaires positives qui permettent de pérenniser des activités commerciales comme la pisciculture, la conchyliculture ou la pêche professionnelle. Si l’ensemble des faisceaux de régulation de la qualité de l’eau que permettent les milieux humides demeure difficile à évaluer économiquement, quelques travaux avancent des chiffrages pour certaines composantes. Pour la rétention de l’azote par les rivières, la valeur du service a ainsi pu être évaluée à plus de deux milliards d’euros annuels à l’échelle nationale3 grâce à la méthode des coûts de remplacement. Une déclinaison de cette méthodologie à l’ensemble des milieux humides permettrait de donner une évaluation nationale à la composante azote du service de régulation de la qualité de l’eau.
Aux rôles de régulation s’ajoute une batterie de biens produits par les milieux humides. À titre d’exemple, les poissons prélevés dans ces derniers représentent une valeur commerciale annuelle de plus de 200 millions d’euros. S’ajoutent également de nombreux services à dimension culturels (activités pédagogiques, observations naturalistes, de chasse et pêche de loisir, etc.). La France a par exemple développé une offre importante de tourisme fluvial, grâce à son réseau de 8 500 kilomètres de voies navigables, générant ainsi plus de 450 millions d’euros de recettes pour l’année 20134.
Enfin, au-delà de la dimension utilitaire pour les sociétés humaines que matérialisent les biens et services écosystémiques, les milieux humides et aquatiques continentaux recouvrent une dimension patrimoniale et identitaire qui pourrait s’évaluer en prenant en compte le coût des actions de conservation du milieu. Ce patrimoine naturel s’exprime, entre autres, au travers de différents statuts de protection réglementaire (Réseaux Natura 2000, Plan national en faveur d’espèces menacées, Convention Ramsar, etc.) et de labels de reconnaissance internationale (sites inscrits au patrimoine universel de l’Unesco) et nationale (sites inscrits et classés, sites dits « rivières sauvages »).
Les suivis et les connaissances existantes demeurent incomplets pour établir un panorama exhaustif chiffré des biens et services écosystémiques produits par les milieux humides et aquatiques continentaux. Des efforts de recherche demeurent nécessaires sur plusieurs pans de l’évaluation. Pour autant, même en l’absence d’exhaustivité, de nombreux travaux tendent à démontrer que la valeur monétaire des biens et services écosystémiques que l’on peut évaluer, en l’état actuel des connaissances, suffit à justifier dans de nombreux cas la mise en place de mesures de préservation des milieux humides.
Une étude conduite en 2015 par Binet et al. a par exemple permis de mettre en lumière l’intérêt économique de la politique d’acquisition foncière d’espaces naturels du Conservatoire du littoral. Sur base d’une évaluation monétaire des différents services écosystémiques fournis par les mangroves, cette étude estime qu’à l’horizon 2040 les bénéfices de cette protection sont estimés entre 33 000 et 51 000 euros par hectare et par an.
Les évaluations de biens et services écosystémiques permettent également d’éclairer plus globalement les politiques de gestion de l’eau. Ceci est notamment le cas pour la Directive cadre sur l’eau, texte européen de référence fixant des objectifs aux États membres en termes de préservation de la ressource et des milieux. La mise en perspective des bénéfices associés à une eau et des écosystèmes de bonne qualité permet ainsi de fédérer les différents acteurs dans une logique de reconquête durable de nos milieux humides et aquatiques.
Pour accéder au rapport complet : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/EFESE
Encadré sur les services écosystémiques principaux instruits dans cette étude :
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- Les milieux humides et aquatiques continentaux recouvrent un ensemble très varié de milieux, naturels ou artificiels
- Les biens et services issus des milieux humides sont multiples mais les milieux humides recouvrent également une dimension patrimoniale
- L’amélioration des connaissances reste nécessaire mais elles sont suffisantes pour l’aide à la décision