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mars 2020  I  Article  I  Autres sources  I  Biodiversité et océans

#ScienceDurable – Pour des aires marines protégées efficaces

A première vue, la nouvelle est bonne : le nombre d’aires marines protégées ne cesse d’augmenter dans le monde. Mieux, en application de la Convention sur la diversité biologique, ces aires protégées recouvriront au moins 10 % des mers d’ici la fin 2020. Ces espaces, délimités pour conserver la biodiversité sur le long terme, représentaient près de 4% de la surface des océans en 2015, soit deux fois plus qu’en 2010. Cependant, ces chiffres ne fournissent qu’une vue partielle de la situation.

#ScienceDurable – Pour des aires marines protégées efficaces Moorea ©Enzo Eymenier

Une étude parue dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment indique que seule 1,4 % de cette surface est en réalité intégralement protégée, alors que les aires intégralement protégées sont considérées comme les moyens de protection les plus efficaces. Selon Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS, et coauteur de l’article, « on constate à la fois dans la littérature scientifique et sur le terrain que non seulement les aires marines intégralement protégés sont minoritaires, mais qu’en plus, sur toutes celles qui existent, une infime minorité fonctionne. » Pour le chercheur, l’explication est simple : « les aires protégées qu’elles soient marines ou terrestres sont aujourd’hui trop souvent conçues uniquement sur des pré-requis écologiques, alors qu’elles devraient être pensées également en termes socio-écologiques. » Autrement dit pour protéger la biodiversité, il faudrait avant tout comprendre comment les hommes interagissent avec elle pour trouver les meilleures solutions de préservation. Fort de cette intuition, le chercheur et son équipe ont développé une méthode socio-écologique pour identifier les outils de gestion (dont les aires protégées) les plus à même d’être efficaces.

 

Le cas de Moorea en Polynésie française

Leur méthode détaillée dans la revue Conservation Letters invite dans un premier temps à identifier  les composantes écologiques (les ressources naturelles) et sociales (les utilisateurs de ces ressources), puis à définir une série d’interventions bénéfiques d’une part pour les écosystèmes, d’autre part pour les utilisateurs, et enfin à sélectionner les interventions qui maximisent les co-bénéfices pour ne conserver que celles qui sont viables sur le long terme pour les deux composantes sociales et écologiques. Pour illustrer leurs résultats les scientifiques se sont penchés sur le cas de Moorea en Polynésie française. Dans ce territoire d’outre-mer, les polynésiens entretiennent un rapport à la fois nourricier et existentiel à la mer. Tirant parti de leurs connaissances des différents aspects de l’océan, des vents, de la houle, des nuages ou des courants, les polynésiens se nourrissent de la mer comme ils en nourrissent depuis toujours leur culture. « Ce peuple appartient autant à la terre qu’à la mer, souligne le chercheur. Mettre des aires marines protégées sur ce type de territoire sans réfléchir à la relation homme nature a toutes les chances d’échouer ». Afin d’appliquer leur méthode, l’équipe de recherche a compilé des données sur l’état et la résilience des espèces pêchées puis sur la dépendance de 6 698 foyers de l’île à ces espèces ainsi que leur capacité d’adaptation aux fluctuations de ces ressources. Les résultats invitent à penser la façon dont une partie de la gestion des ressources marines pourrait être mise en place. En effet, les chercheurs démontrent par exemple que le récif séparant le lagon de Moorea de l’océan fait généralement preuve d’une forte résilience et d’une exposition relativement faible à la pêche par rapport aux récifs du lagon. « Il serait donc souhaitable d’installer des niveaux de protection intégrale sur ces récifs afin de moins impacter les ménages locaux » poursuit Joachim Claudet. En revanche, dans les zones lagunaires situées face à des foyers fragiles qui tirent leur ressource du lagon, la méthode de sélection invite à choisir des interventions moins restrictives telles qu’une réglementation sur les espèces et leur taille ou des aides pour la diversification des activités telles que l’agriculture, le tourisme ou l’aquaculture.

 

Une méthode transparente pour favoriser la discussion avec les parties prenantes

« Cette méthode développée dans le but d’accompagner les processus de sélection de mesure de gestion des ressources naturelles dans tout type de contexte socio-écologique, pas uniquement côtier, a pour avantage majeur d’être transparente et de favoriser la discussion avec les parties prenantes ». En effet dans de nombreux cas, le choix des mesures de gestion se fait à l’aide de scénarios réalisés à partir d’ateliers participatifs. Ceux-ci impliquent comme étape la réalisation de modèles complexes, qui souvent ne sont pas compris par les usagers et fait courir le risque de ne pas voir les recommandations appliquées. « L’avantage de notre méthode est qu’elle ne fait pas appel à de modèles complexes. Grâce à un arbre de décision, les utilisateurs et gestionnaires peuvent suivre chaque étape du processus. » Cette transparence fait espérer aux scientifiques une appropriation favorable des modalités de leur sélection par les habitants. 

 

 arbre de décision – Thiault L, Gelcich S, Marshall N, Marshall P, Chlous F, Claudet J. Operationalizing vulnerability for social-ecological integration in conservation and natural resource management. Conservation Letters. 2019;e12677. https://doi.org/10.1111/conl.12677 

 

 

A Moorea les aires marines protégées sont en révision. « Nous avons proposé aux décideurs d’utiliser cet outil dans leur concertation. L’idée serait de partir des résultats que nous avons trouvé pour engager les discussions » Et faire de ces aires marines protégées des outils de protection efficaces pour les écosystèmes… et les hommes.

 

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Auteur : Julie de Bouville, Experte en communication

Relecteurs : Hélène Soubelet, Directrice (FRB) et Jean-François Silvain, Président (FRB)

 

 

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Chercheurs

Joachim Claudet,

Directeur de recherche CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement