#ScienceDurable – Urbanisme : pourquoi nous devons passer du concept de ville à celui d’écosystème urbain
Auteure : Julie de Bouville, experte en communication
Relecteur : Philippe Clergeau, chercheur en écologie au Muséum national d’Histoire naturelle
En France, la période du confinement aura révélé à tous un essentiel besoin de nature. La fuite à la campagne pour ceux qui en avaient les moyens s’est révélée salutaire. Pour les autres, enfermés dans leurs appartements, et privés d’accès aux jardins, ce fut la double peine. Le besoin de nature en ville, déjà très présent à l’ère pré Covid, s’est donc accru. Et les villes françaises affichent désormais sans ciller leurs ambitions. Elles seront toutes plus vertes, plus végétales, plus vivables, avec toujours moins de voiture, de bitume et de béton. Mais derrière ces volontés affichées, ont–elles les moyens de leurs ambitions ?
L’approche biodiversitaire
Philippe Clergeau, chercheur au Muséum national d’histoires naturelles de Paris et spécialiste de la nature en ville constate « Les politiques de verdissement des villes sont évidemment une bonne chose, à la fois pour la qualité du cadre de vie et pour la reconnexion des citadins avec la nature. Néanmoins, on remarque que ce sont trop souvent les mêmes espèces qu’on emploie en milieu urbain au risque de les voir un jour disparaître. » Ainsi les platanes alignés dans de nombreuses villes françaises pour leur résistance à la pollution ou la sécheresse se retrouvent aujourd’hui menacés par la maladie du Chancre et risquent de connaître le même destin que l’Orme dans les années 60, décimé par un champignon pathogène. « Le problème n’est pas l’espèce en tant que telle, souligne Philippe Clergeau, mais le fait que ce soit une monoculture. » À l’approche monospécifique, le scientifique répond par l’approche « biodiversitaire ». « Si les grandes pelouses, les alignements de platanes ou les toitures de sedum constituent autant de monocultures qui pourront se révéler fragiles face aux aléas climatiques ou sanitaires, à l’inverse, la diversité d’espèces ayant des relations entre elles s’avère bien plus résistante ; elle apporte une certaine stabilité aux chaînes alimentaires, aux paysages urbains. Une ou des espèces peuvent disparaître sans que toute la plantation soit détruite. » S’inspirer du fonctionnement de la nature et de sa complexité fait donc partie des pistes pour rendre les villes plus durables.
Le biomimétisme source d’inspiration pour les architectes
D’ores et déjà dans le monde de l’architecture, les praticiens dissèquent le fonctionnement des habitats ou des plantes pour bâtir leurs immeubles. À Harare, capitale du Zimbabwe, l’architecte Mike Pearce s’est inspiré des termitières pour construire un centre d’affaire sans air conditionné : en y laissant l’air circuler par une multitude de petits trous, il a permis à la température du bâtiment de se réguler d’elle-même sans jamais dépasser les 27°. D’autres bâtisseurs, tels que les frères Vernoux, respectivement architecte et biologiste, créent des bâtiments vertueux inspirés de la phyllotaxie, comprenez la façon dont les végétaux disposent et arrangent leurs feuilles pour favoriser au mieux la récupération de la lumière. Aujourd’hui, leurs bâtiments construits en forme de spirale gagnent en énergie.
Mais le scientifique Philippe Clergeau invite à aller plus loin. « Ce biomimétisme appliqué aux objets ou aux bâtiments, doit pouvoir s’appliquer à l’urbanisme. » L’idée centrale est, à l’image des écosystèmes, de privilégier un fonctionnement circulaire qui permet à la fois l’auto-entretient et le maintien des espèces. « Si on a une platebande de fleurs par exemple, il va falloir l’entretenir, biner, sarcler, arroser régulièrement pour la maintenir en bon état. L’approche « biodiversitaire » va en revanche nous permettre d’éviter cela. L’idée est de reconstituer un petit écosystème : en utilisant des couvres sols, on va conserver plus d’humidité dans le sol, limiter les espèces envahissantes et la faune qui va s’y développer permettra de reconstituer une litière. La gestion en sera d’autant plus réduite ». Le scientifique appelle à ouvrir les lentilles de nos jumelles et à penser cette bio inspiration à l’échelle de la ville.
Penser la ville comme un écosystème
Dès à présent des projets urbains tendent à s’approcher de ce principe d’ « urbanisme écosystémique ». Ainsi aux États-Unis, à Portland, un plan d’urbanisme prenant en compte l’écosystème a-t-il été pensé pour le quartier de Lloyd. L’idée de départ était de se rapprocher du fonctionnement de l’écosystème préexistant: une forêt de conifères. Des mesures ont été prises pour établir une base théorique représentant le profil écologique du site avant la présence humaine. L’objectif était de réaménager le quartier, inverser les impacts environnementaux négatifs et redonner certaines fonctionnalités écologiques au lieu.
Avant la présence humaine, 90 % de la forêt était composée d’un couvert arboré abritant de très nombreuses espèces. Le plan d’urbanisme a prévu d’augmenter le couvert forestier indigène de 30 %, de planter des végétaux diversifiés à la fois dans les sols et sur les murs des façades, de créer 8000 mètres carré de « parcelles » de forêt de conifères et de fournir un habitat aquatique grâce à la collecte des eaux pluviales. La collecte des eaux de pluie a aussi été étudiée pour répondre à 100 % de la demande en eau potable. Le plan envisageait d’utiliser les bâtiments, paysages et systèmes techniques pour imiter la récupération d’eau de la forêt tout en permettant une multiplication par cinq de la densité urbaine. Enfin, l’énergie solaire et les cycles du carbone ont été pris en compte pour s’approcher des conditions d’utilisation de l’énergie solaire par la forêt et réduire les émissions de carbone aux niveaux d’avant le développement. Le quartier ainsi conçu n’était alors plus pensé comme une ville, mais plutôt comme un écosystème urbain dans lequel devait se déployer un système social et économique.
En dépit de leur théorisation, ces types d’approches demeurent encore à l’état de projet et trop souvent la biodiversité n’est pas un des axes majeurs de la réflexion : « On reste beaucoup sur les flux et le métabolisme. Le vivant est encore peu pris en compte, déplore Philippe Clergeau. » Bien que les scientifiques soient au début des recherches d’opérationnalité, les connaissances pour s’engager dans ce type de projets sont bien réelles. « La plupart des municipalités l’ont bien compris, les trames vertes et bleues ne sont pas toujours une science exacte permettant aux musaraignes ou hérissons d’arriver en centre-ville, mais elles font partie d’un ensemble de projets qui tendent doucement mais sûrement à créer une nouvelle forme de milieu urbain résilient et évolutif. »
POUR EN SAVOIR PLUS
Clergeau P. (coord.) (2020) Urbanisme et biodiversité, vers un paysage vivant structurant le projet urbain. Apogée ed.
Blanco E. et al. (soumis) Urban ecosystem-level biomimicry and regenerative design: Linking ecosystem functioning and urban built environments. Sustainability
Philippe Clergeau, chercheur en écologie au Muséum national d’Histoire naturelle