Tendances temporelles et spatiales des risques liés à l’imidaclopride en France
Auteur : Robin Almansa, chargé de communication (FRB)
Relecteurs : Thomas Perrot, post-doctorant (FRB), Robin Goffaux, chargé de mission “biodiversité et agriculture” (FRB), Pauline Coulomb, responsable du Pôle Communication et valorisation scientifique (FRB), Denis Couvet, président de la FRB
Référence : Perrot, T., Bonmatin, J. M., Jactel, J., Leboulanger, C., Goffaux, R., Gaba, S. (2024). Temporal and spatial trends of imidacloprid-related hazards in France. Science of The Total Environment. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2024.173950
La production agricole, dans sa grande majorité, impacte la biodiversité : elle peut conduire à des pertes d’abondance des espèces et de fonctionnalités des écosystèmes et, en les dégradant, à celles d’autres services écosystémiques tels que la pollinisation ou le contrôle biologique. Dans un souci d’évaluer plus complètement les implications de ces activités humaines, la FRB mène un projet visant à quantifier les impacts sur la biodiversité de l’utilisation de l’imidaclopride en France. À cet effet, des scientifiques ont ainsi, pour la première fois, évalué le niveau de contamination des milieux par cet insecticide, principal néonicotinoïde utilisé en France, pour donner une estimation de la pression que l’utilisation de ce produit exerce sur la biodiversité.
La littérature scientifique démontre que l’imidaclopride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, de par son usage, contamine les milieux et est responsable du déclin de la biodiversité. Ces néonicotinoïdes, famille d’insecticide la plus utilisée au monde, sont interdits en Europe depuis 2018 mais font l’objet de nombreuses dérogations ou demandes de dérogations dans de nombreux pays. Alors que les études en laboratoires montrent les effets indéniables de ces insecticides sur un grand nombre d’espèces allant des insectes aux mammifères, l’évaluation de leurs impacts sur l’environnement restent peu étudiée.
Depuis leur introduction dans les années 1990, les néonicotinoïdes sont devenus les insecticides les plus vendus au monde. Leurs utilisations, principalement sous forme d’enrobage des semences, ont été présentées comme des pratiques à faible risque pour l’environnement. Pourtant, il a depuis été démontré qu’ils contaminent les environnements terrestres et aquatiques, affectant par conséquent la biodiversité. Commercialisé en France dès 1991, l’imidaclopride est le principale néonicotinoïde utilisé en France. Il a ensuite été réglementairement interdit en 2013 dans l’Union européenne (UE) pour les cultures florales, puis en 2018 pour toutes les cultures. Toutefois, des dérogations annuelles ont été accordées pour les cultures de betteraves sucrières entre 2021 et 2022. Si l’ensemble des néonicotinoïdes, dont l’imidaclopride, a été complètement interdit pour toutes cultures dans l’UE en 2023, cette décision est néanmoins toujours contestée par plusieurs syndicats agricoles.
En effet, seuls 2 % à 20 % des néonicotinoïdes enrobant les semences sont réellement absorbés par les cultures. Le reste demeure dans le sol ou s’infiltre dans les eaux de surface. Solubles dans l’eau, les molécules sont ainsi transportées et contaminent des écosystèmes aquatiques et terrestres, même dans les zones reculées où les néonicotinoïdes n’ont pas été appliqués, comme les prairies, les haies et les champs cultivés en agriculture biologique. En raison de cette contamination généralisée et de leur efficacité à tuer les insectes non ciblés à très faibles doses, ces insecticides sont actuellement identifiés comme une cause majeure du déclin des insectes et autres invertébrés terrestres et aquatiques dans diverses parties du monde. De cette manière, l’usage de néonicotinoïdes contribue au déclin des espèces se nourrissant d’insectes, tels que les oiseaux et les poissons, en plus de leurs effets mortels sur de nombreux organismes.
Malgré la reconnaissance du risque de ces produits pour la biodiversité, leur utilisation temporelle et spatiale reste mal connue dans de nombreux pays. Ces informations sont pourtant essentielles pour évaluer les impacts potentiels de ces pesticides sur la biodiversité et pour orienter les mesures visant à établir des zones protégées ou à restaurer la biodiversité.
Dans une étude parue en juin 2024 dans la revue Science of Total Environment, un vaste ensemble de données publiques a été agrégé pour caractériser l’utilisation temporelle et spatiale en France de l’imidaclopride et des échantillonnages sur la contamination de l’eau entre 2005 et 2022 ont été analysés afin d’évaluer la pression de l’imidaclopride sur l’environnement.
Les résultats de cette étude montrent que l’usage de l’imidaclopride apparait plus important dans les régions nord et ouest en France métropolitaine, particulièrement en lien avec les cultures de céréales et de betteraves. De plus, il s’avère que la contamination des cours d’eau à l’imidaclopride est bien corrélée aux ventes, et plus élevée dans les départements traversés par la Loire, la Seine et la Vilaine, avec des concentrations suffisantes pour pouvoir impacter la biodiversité de ces territoires. Cette corrélation est plus importante pour les départements à sols alluviaux, à grès ou rocheux. La contamination est également plus marquée dans les territoires à plus fortes précipitations cumulées. Elle a été stable entre 2005 et 2011, en augmentation de 2012 à 2018, et en baisse entre 2018, année où l’usage de cette molécule a été interdit.
Cette étude est la première évaluation de la pression de l’imidaclopride sur la biodiversité en France et montre une corrélation spatiale et temporelle entre pratiques agricoles et niveau de contamination des eaux douces. Elle est une étape préalable nécessaire à la quantification des impacts sur la biodiversité de l’utilisation de ce néonicotinoïde. Ces travaux montrent que les niveaux de contamination présentent des risques potentiels pour la biodiversité, et que cette contamination provient bien de l’utilisation de cette molécule pour les cultures végétales. Ces résultats permettront, dans la suite du projet, d’estimer le préjudice environnemental induit par l’utilisation de cette molécule en France métropolitaine et d’identifier les zones prioritaires pour les mesures d’atténuation et de restauration.